Revenir de l’hôpital fut un véritable calvaire. Dawn ne pensait pas avoir tant de larmes disponibles dans le tréfonds de son âme, et pourtant, le conducteur du taxi qu’elle avait pris pour retourner au restaurant en était hélas le témoin. En théorie, la jolie chef aurait dû rentrer chez elle et prouver qu’elle avait droit à un moment pour faire son deuil, comme n’importe quelle personne normalement constituée ; mais hélas, Dawn ne s’était jamais considérée comme normale. Voilà bien la raison pour laquelle elle venait de pousser la porte du restaurant, sous les yeux ébahis de l’équipe au grand complet et le regard désapprobateur de la patronne. Celle-ci avait cru bon d’engager un second pendant les deux jours d’absence que Dawn avait vécu des suites du décès de sa sœur. Elle n’avait pas eu le choix : sa nièce Zoé étant à l’hôpital, quelle tante aurait-elle été si elle l’avait laissée seule ! Mais là, voir que sa patronne montrait les us et coutumes de son établissement à ce nouveau venu, engagé à cause du congé maternité de l’ancien second, Dawn vit rouge. Elle ne posa même pas son manteau, son sac et ne salua personne, se rendant directement vers eux d’un air particulièrement mauvais. Ce n’est qu’une fois que sa patronne l’eut arrêtée d’un mot peu aimable qu’elle se retourna en soupirant, n’ayant cure de la personne que pouvait bien être ce parvenu ni du respect lui étant dû : il était dans SA cuisine point barre. « Vous souhaitez peut-être que je m’extasie sur le fait que vous avez engagé le premier pouilleux du coin sans me concerter ? Je sais, j’entends déjà votre ton de général me répondre que c’est votre restaurant, et bla et bla et bla ! Mais c’est MA cuisine. D’habitude j’engage moi-même les membres de mon équipe, qui sont les meilleurs selon MON flair. Navrée de vous décevoir, mais vous n’avez jamais eu aucun flair, ni pour la vraie cuisine, ni pour engager les bonnes personnes. Pas à moins qu’elles ne se présentent à vous comme je l’ai fais à mes débuts ici. Maintenant, si vous voulez bien m’éviter votre sermon interminable et soporifique, j’ai du travail. »

Dawn tourna les talons, partant mettre dans son vestiaire l’intégralité de ses affaires avant de se changer pour mieux se mettre en tenue. Le restant de l’équipe continua de déjeuner comme si de rien n’était, ne lui présentant évidemment aucunes condoléances : il valait mieux ne pas l’amener sur ce terrain là. Dawn n’était pas d’humeur, et la preuve en fut qu’elle partit s’asseoir dans l’espèce d’immense frigo représentant presque une pièce à lui tout seul, dont la seule entrée de lumière était caractérisée par une vitre sur la porte. Le froid calmait ses pulsions assassines mais également la douleur vive qu’elle ressentait. Bien évidemment, là encore, personne de normal ne serait rentré dans un véritable frigo avant de se mettre à rassembler les produits frais tous juste arrivés…

Ca faisait trois ans que Kale était venu s’installer à New-York. Il avait trouvé un poste de cuisinier dans un restaurant, seulement ce dernier avait fermé un mois après son ouverture. Le jeune homme s’était alors retrouvé à devoir faire plusieurs petits boulots. Barman, cuisinier et même plongeur dans un restaurant. Ca n’était pas vraiment ce qu’il voulait faire, pour ne pas dire pas du tout. Il préférait largement être cuisinier. C’était son travail, ce pour quoi il avait travaillé dur pendant de longues années. Mais aujourd’hui, il avait la possibilité d’être second dans un grand restaurant. Il avait été contacté par le au Bleeker's. Ils avaient un poste de second en cuisine pour lui et c’était tout ce qu’il demandait. Il en avait parlé avec sa famille qui espérait, tout comme lui, avoir le poste. Du coup, il avait fait en sorte d’être bien habillé. Enfin, quand même comme il comptait le faire pendant qu’il travaillerait. Pas de costume trois pièces pour lui. Un jean bleu marine, aussi bien repassé que sa chemise blanche. Même si quand il travaillait, il préférait un jean et un tee-shirt. Ca lui suffisait largement. Mais bon, pour visiter les lieux de là où il allait travailler, il fallait qu’il voit comment les autres étaient habillés et c’était tout de même un cinq étoiles, il devait donc faire un effort vestimentaire. Une fois sur les lieux du rendez-vous, il salua poliment la femme qui allait lui faire le tour du propriétaire. A l’écoute, il répondait aux questions qu’elle lui posait. Seulement, l’arrivée d’une jeune femme amena un vent de froid sur tout l’établissement. N’ayant pas ouvert la bouche, il resta là, regardant la femme qui lui avait fait visiter les lieux. Elle lui expliqua alors qu’il serait le second de cette femme, Dawn qui venait de partir rapidement. Ca n’allait pas être du gâteau apparemment. Seulement, selon les dires de la chef, Dawn venait de perdre sa sœur et Kale pouvait alors comprendre qu’elle ne soit pas dans son assiette. Seulement le jeune homme décida qu’il fallait qu’il se présente par lui-même, surtout après ce que Dawn lui avait dit. Cherchant la jeune femme, il vit quelques personnes lui pointer du doigt le frigo. Haussant les sourcils, il fut surprit, mais y entre malgré tout et vit qu’en effet, la jeune femme était là.

Kale Stanton, le premier pouilleux du coin.

Lui faisant un léger signe de la main, il voyait bien qu’elle n’était pas d’humeur, mais il devait avouer qu’il s’en fichait un peu. Il pouvait comprendre à cause de la mort de sa sœur, mais tout de même.

Comme vous l’avez dit, vous ne m’avez pas choisit vous-même, mais je sais aussi qu’un cuisinier, ne se choisit pas que sur un CV ou un entretien, mais avant tout sur ce qu’il sait faire en cuisine. C’est pour cela que vous devriez me donner des plats à préparer et vous me direz ensuite si je suis vraiment à la hauteur selon votre flair ou non.

S’asseyant, il soupira doucement, se frottant les bras, parce qu’il commençait quand même à faire froid.

Oui je vais rester là.

Il avait bien vu la tête que faisais la jeune femme, entre la surprise de le voir s’asseoir et le désespoir de devoir l’avoir dans les pattes.

Dès que vous m’aurez dit quel plat je dois vous cuisinez, je sortirai d’ici pour aller les faire.

Regardant ce qu’il y avait autour d’eux, il ne dit plus un seul mot, bien conscient que si elle sortait sans qu’il ait le temps de bouger, il finirait mort dans ce frigo, mais bon, il prenait le risque, se disant qu’au vu de la réputation de la jeune femme, elle ne risquerait pas de le tuer contre sa carrière.

Se jeter dans la gueule du loup comme ça pouvait être pris comme un acte incroyablement courageux… ou terriblement stupide selon le point de vue. Autant dire que Dawn le fusilla du regard dans un premier temps, avant de pousser un pénible soupir pour finir par être éberluée par le culot dont il faisait preuve. Non seulement il la privait de sa paix durement méritée, mais il l’assommait de paroles dont elle n’avait que faire. Le soumettre à un test, vraiment ? Soit il se croyait terriblement doué et se savait donc parfaitement capable de relever le défi, soit l’idiotie faisait partie intégrante de son caractère. Autant dire qu’elle ne laissait pas la seconde option de côté, il ne valait mieux pas. Elle soupira à nouveau tout en sachant éperdument qu’il ne lâcherait pas l’affaire, pas à moins d’être totalement congelé sur place… et encore, elle l’imaginait parfaitement capable de rester planté comme un piquet devant elle tout de même. « Je ne sais si vous êtes stupide ou juste incroyable culotté. Mais l’un dans l’autre, vous allez m’avoir sur le poil si vous réussissez ce fameux test… je dis bien SI vous le réussissez. » Dawn venait juste de se lever sur ses deux jambes, marquant le fait qu’elle soit à peu près de la même taille que lui et qu’il n’avait donc aucune raison de fanfaronner, surtout devant elle. La jeune femme le détailla quelques secondes durant avant de croiser ses bras contre son corps fin et élancé. Décidément, elle était quasi certaine de ne pas l’aimer, celui-là… surtout s’il fallait qu’elle soit constamment derrière lui. « Je ne sais pas qui vous êtes et ne veux surtout pas le savoir. Vous allez donc m’épargner les détails inintéressants de votre existence. En revanche, vous allez me dire où vous avez travaillé et quelles sont donc vos références… je suppose que vous en avez puisque vous avez été engagé ici. C’est le premier point… » Puisque Kale souhaitait à tout prix tenter de flatter le flair de Dawn, autant dire qu’il venait de s’offrir une très pénible fin de journée. Non seulement elle allait le surveiller de près, mais ne l’autoriserait pas à la seconder comme prévu dans la description de son poste tant qu’il ne lui aurait pas concocté les plats escomptés.

« Avant la fermeture du restaurant ce soir, vous allez me préparer un foie gras, un rôti avec pommes sarladaises et fricassée de truffes, un risotto de la mer ainsi qu’un plat de votre choix afin que je vois si vous êtes capable d’être surprenant et inventif. » Dawn marqua bien évidemment une pause, cherchant à déchiffrer les moindres expressions de celui qu’elle considérait déjà comme un jeune sot sans talent et sans imagination. Elle ne reprit qu’ensuite, imperturbable : « Pas si vite, il s’agissait juste des plats. Venons-en aux desserts… vous allez me préparer une pièce montée au caramel, un Paris-Brest ainsi qu’une tarte citron meringuée accompagnée de sa crème Mémé. Il va sans dire que vous ne demanderez aucune aide pendant la préparation et n’accèderez réellement à ma cuisine pour devenir mon second si et seulement si je suis satisfaite parce tout ce que vous me proposerez. Je serai intransigeante sur les cuissons, la présentation ainsi que sur le choix des vins… je suppose que vous saviez que vous devez même être calé en la matière. Alors, qu’attendez-vous ? »

Un grand sourire aux lèvres, il fixa la jeune femme et haussa un sourcil quand elle se leva. C’était si simple ? Il avait pensé qu’il devrait être plus combatif.

Pour vous répondre, je suis un peu des deux. Le mélange stupide est culotté, fait partit de mon charme.

Haussant les épaules en souriant, il fut alors attentif à ce qu’elle lui disait. Elle voulait ses références ? Ca n’était pas le plus dire à lui dire. Alors, il soupira doucement et prit la parole pour lui expliquer les endroits où il avait déjà travaillé.

Je vis depuis mes cinq ans à Hawaï et j’ai donc surtout travaillé là-bas. J’ai travaillé au restaurant Oceanarium Restaurant à Honolulu pendant deux ans. Puis au Roy’s Waikiki Beach pendant quatre ans et au Marukame Udon Waikiki pendant six ans.

C’était de grands restaurants, en tout cas pour les deux derniers. Le premier n’était pas le meilleur, mais c’était le restaurant où il s’était formé.

Je suis arrivé à New-York depuis trois ans, mais là j’ai enchaîné les petits boulots avant d’être embauché ici.

Ca n’était donc pas la meilleure période de sa vie, mais c’était déjà ça. En écoutant alors ce qu’elle voulait qu’il lui prépare, il savait qu’elle ne lui donnerait pas quelque chose de facile, mais il savait qu’elle ne le ferait pas, surtout au vu de la réputation du lieu. Il sourit alors quand elle fit une pause. Il ne savait pas pourquoi, mais il garda son sourire et resta attentif à tout ce qu’elle ajoutait. Quand elle parla du choix des vins, ça serait un détail plus complexe pour lui. A Hawaï, il s’en sortait bien, mais le vin n’était pas ce qu’il maitrisait le mieux.

Bien chef.

Sortant du frigo, il enleva sa veste, allant la mettre dans le vestiaire et revenant dans la cuisine. Pliant les manches de sa chemise, il récapitula les plats et chercha donc les récipients pour pouvoir les faire. Ouvrant et fermant, il chercha de lui-même les ingrédients. Dawn lui avait dit qu’elle ne voulait pas qu’il l’appelle et il ne comptait pas non plus appeler les autres employés. De toute façon, ils semblaient occupés, donc il n’irait pas les déranger. Mais, il voyait aussi des sourires et il comprenait qu’ils étaient amusés de le voir être testés. Du coup, il commença rapidement les cuissons les plus longues. Ensuite, il chercha la carte des vins qu’ils avaient en réserve. C’était le détail le plus dur pour lui, mais il fallait qu’il fasse le bon choix. Il fallait qu’il soit rapide, mais appliqué et il prit le temps de le faire. Même s’il voyait les gens s’activer autour de lui pour préparer les repas de la journée.

Dawn laissa le nouveau parvenu se débrouiller comme un grand, après tout, elle avait ses propres ordres à donner et ne comptait donc pas lui moucher le nez. S’il voulait la convaincre de son talent, il lui faudrait survivre dans sa cuisine : la jeune femme détestait les traine-savates et haïssait par-dessus tout l’incompétence. Pas étonnant qu’elle soit aussi respectée qu’elle était crainte. Cela dit, si elle n’accorda aucune attention à Kale durant de longues heures, elle finit par profiter d’un petit coup de mou entre deux commandes pour se planter devant lui, l’air sévère. Cela n’annonçait, bien évidemment, strictement rien de bon pour la suite. « J’attendais que vous me montriez votre travail au fur et à mesure… ou peut-être êtes-vous bouché en plus du reste ? » Les autres employés étaient passablement étonnés qu’elle ne se décharge à ce point sur lui, mais après tout, il était la cible idéale… celle qui n’aurait jamais le cran de rendre son tablier pour marquer le coup ou de rencontrer les clients les plus chiants et irrespectueux afin de les moucher publiquement. Il n’y avait vraiment que Dawn pour se payer un tel culot et rester un chef tout à fait incontesté. « Votre plan de travail est une catastrophe ! Cela déborde d’instruments de cuisine, augmente les risques d’incidents et prouve que vous n’êtes pas à ce que vous faites ! Je n’étais pas au courant du fait que l’on ait inventé la sieste ici… où en êtes-vous ? Si vous êtes aussi lent pendant le coup de feu, vous allez vous faire piétiner. » On pouvait difficilement lui retirer ça, il n’y avait pas l’ombre d’une trace de condescendance dans le ton de sa voix. Dawn s’adressait à lui de façon directe, sans économiser ses mots et n’hésitait donc pas à pointer ses défauts sans prendre de gant. Pour sûr, il n’allait certainement pas apprécier… mais elle n’était pas là pour qu’il l’aime. Après tout, elle restait sa chef et bien qu’on ne lui ait pas demandé son avis quant à son embauche, il avait décidé de son plein gré d’être soumis à un test. L’arrogance était bien LA chose qu’elle détestait le plus au monde aussi se ferait-elle un plaisir de le remettre à sa place si d’aventure il osait continuer son petit manège… si toutefois il tenait plus de vingt-quatre heures, ce qui n’était pas dit. « Je n’ai pas toute la semaine, montrez-moi ce que vous avez fait pour que je vérifie ! »

Quand la jeune femme arriva à ses côtés, il comprit qu’elle n’allait pas lui faciliter la vie. Mais il n’était pas là pour qu’elle soit douce et agréable avec lui. Bon d’accord, un peu quand même, mais il avait bien comprit que ça ne serait pas le cas. Il n’avait pas vraiment envie d’être son pushing-ball, mais s’il devait l’air, alors il ferait avec. Evidemment, en temps normal il travaillait dans des ambiances plus calmes et avec le sourire. Il encaissait les propos de la jeune femme sans dire un mot. Il avait bien comprit que s’il l’ouvrait, ça allait mal finir. Alors, quand elle lui demanda à voir les plats et les goûter, il vit les regards en coin des autres employés. Apparemment ces derniers voulaient voir s’il parvenait à faire les plats qu’elle lui avait demandés de cuisinier. Il commença donc par le foie gras.

Pour le foie gras, je conseillerai un vin moelleux. Je dirai donc avec la carte des vins proposés, un vin français qui est le Sauterne.

La laissant goûter le tout, il alla vérifia le rôti avec pommes sarladaises de truffes qui étaient sur le gril. Il voulait vérifier que ça soit bien chaud, surtout que la jeune femme semblait vouloir goûter avant de donner son avis. Il fit également attention à la présentation de l’assiette. Il fallait que ça soit cuit, mais également que la plat au premier abord, donne envie de le manger.

En vin, il faudrait un Bergerac rouge.

Il enchaîna avec le risotto de la mer. Il savait que la cuisson de certains produits était très minutieuse et pour lui il avait bon pour le moment.

Pour l’accompagner, ça sera un Bordeaux, du Chablis en vin blanc.

Du coup, ce fut au tour du plat de son choix et il le présenta à la jeune femme.

Turbot rôti à la fondue de poireaux. Il faudrait donc un blanc et au vu de la carte, un Vallée du Rhône, Châteauneuf-du-Pape.

La laissant tout goûter, il alla vérifier le dessert. Là il était un peu moins sûr mais il verrait bien selon ce qu’elle lui dirait. Pour les vins jusqu’à présent, il pensait avoir bon, mais comme c’était son point faible, il n’en était pas certain du tout. Allant chercher la pièce montée au caramel, le Paris-Brest et la tarte citron meringuée accompagnée de sa crème Mémé, il vit les regards curieux des employés qui attendaient toujours autant les propos et surtout l’avis officiel de Dawn.

La pièce montée au caramel, un Château Climens. Pour le Paris-Brest un blanc comme du Loupiac ou un blanc liquoreux comme du Sauterne. La tarte citron meringuée accompagnée de sa crème Mémé sera avec du blanc également comme un Pouilly Fumé.

Faisant quelques pas en arrière, il sortit une autre assiette et la présenta à la jeune femme.

Une charlotte aux poires qui sera accompagnée d’un Puligny-Montrachet ou d’un Coteaux du Layon.

Cette fois-ci il fit un vrai pas en arrière. Il savait que ce dernier dessert n’était pas demandé, mais il aimait bien cuisiner les fruits. Il aimait bien faire des gâteaux. Sans doute parce que sa mère aime beaucoup les fruits et les desserts. Du coup, il mit les mains derrières son dos, attendant le verdict de la jeune femme, s’attendant à avoir un commentaire pour chaque plat faits et vin proposés.

Jusqu’à un certain point, Dawn écouta religieusement Kale sans même vouloir l’interrompre. Il aurait été injuste de sa part de prétendre qu’il ne savait pas de quoi il parlait, même si la chose était diablement tentante. Ses choix en vins étaient relativement discutables certes, mais la jeune femme n’éprouva pas le besoin de réellement le reprendre là-dessus : ses choix étaient tout à fait justifiables en l’état. Elle le scrutait donc pendant ses explications, sa main contre son menton, l’autre contre son ventre, signe qu’elle réfléchissait posément et intensément. Dawn étudiait jusqu’à la gestuelle du potentiel futur second qu’il constituait, comme à l’affut du plus petit détail qui pourrait lui permettre de le remercier sans autre forme de procès. Hélas, elle devait bien admettre que jusqu’ici, il faisait un sens faute. Ce fut somme toute la mauvaise foi qui la poussa à lui poser une petite colle qu’elle estimait tout à fait méritée, de son point de vue : « Comment préparez-vous votre crème Mémé, exactement ? » Aucune interrogation sur les vins, la présentation, ni tout autre détail qui aurait très bien pu attirer son attention. Le concept de ladite crème était l’une de ses inventions, à faire dire. Personne n’utilisait ce terme ou presque, tant et si bien qu’elle en avait été citée dans de très nombreux bouquins de cuisine à travers le monde… un détail ayant son importance puisqu’il l’avait aidée à se propulser sur le devant de la scène, armée de son habituel culot ainsi que de son talent indéniable. « Je n’approuve pas forcément tous vos choix de vins, mais ils peuvent se valoir suivant comment vous servez vos plats et desserts. » En revanche, le visage de Dawn se décomposa soudainement à l’évocation de la Charlotte aux poires. Il s’agissait du met sucré préféré de sa défunte sœur, et de très nombreux souvenirs semblèrent lui sauter à la gorge à ce moment précis. La jeune femme ne sut pas si Kale fut en mesure de capter les quelques larmes qui roulèrent aussitôt contre ses joues pâles et froides, mais dans tous les cas, elle ne lui laissa pas le temps de répliquer quoi que ce soit. « Continuez jusqu’à avoir totalement terminé, je veux un échantillon de chaque dans vingt minutes pour renter dans le timing établit. »

En vérité, elle n’avait pas réellement donné de dead line. Dawn s’en moquait bien, puisqu’elle se dirigea à nouveau vers les frigos pour évacuer cette vague de tristesse l’ayant soudainement empoignée et refusant de la lâcher. Ce fut le pompon lorsque la patronne du restaurant s’occupa de déranger Kale pour lui demander s’il accepterait d’accompagner Dawn à ce maudit speed-dating où elle voulait justement l’emmener ce soir, histoire de lui changer les idées. Pour l’instant, la demoiselle n’en n’avait pas vent, trop occupée à cacher soigneusement sa tristesse dans la froideur poignante du frigo, mais si elle savait… probablement foncerait-elle dans le tas sans l’ombre d’un état d’âme.
dit.

Préparer et présenter les plats n’étaient normalement pas le point faible de Kale. Il savait faire cela, mais les vins étaient son point faible, il fallait bien l’avouer. Malgré tout, il avait dans la voix, son ton convaincu par ce qu’il disait, même si mentalement, il n’en était pas certain. Mais la question de la jeune femme le surprit. Elle venait vraiment de le demander ?

Je prépare ma crème, comme on fait pour toutes les crèmes. Seulement, il faut fouetter les œufs en neige au bain marie pour les raffermir.

Fixant la jeune femme, il eut le droit un commentaire sur le vin. Il s’y attendait, donc pas de surprise, mais elle comprenait les choix qu’il avait fait. C’est vrai ? Bon point pour lui apparemment. Mais Kale avait également faire un dessert de son choix, même si Dawn ne le lui avait pas demandé. Juste pour lui prouver qu’il pouvait faire vite et bon. Seulement au ton qu’elle employa par la suite, il fronça les sourcils. En la voyant partir, il ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit et de toute façon, la chef des lieux vint vers lui. Fronçant les sourcils, il tenta de se concentrer sur ce qu’elle disait.

Un speed-dating ?

Haussant les sourcils, il fixa la femme qui lui parlait. Etait-elle sérieuse ? Il venait à peine d’arriver, Dawn ne semblait pas ravie de le voir là et l’autre lui proposait un plan de ce genre ? Tournant la tête vers les autres employés, ces derniers semblaient être amusés et en même temps désolé pour lui. Amusé, il pouvait comprendre, mais pourquoi désolé ? Dawn était-t-elle si difficile que ça ? Quoi que lui pouvait comprendre qu’un speed-dating n’était pas l’évènement du siècle. Sourcils froncés, il soupira et accepta d’aller avec Dawn, mais que si elle ne voulait pas, il n’allait clairement pas l’y pousser. Au contraire, ça n’était pas le genre de choses qui le mettrait à l’aise donc si elle ne voulait pas, il n’irait pas l’ennuyer avec ça. Quand la chef fut partit, il se concentra alors sur ses plats pour pouvoir les présenter. Seulement vingt minutes plus tard, il était encore seul. Allant vers les frigos, il y trouva Dawn.

Tout est prêt.

Il fixa la jeune femme et sortit. Cette fois-ci, il voyait qu’elle avait besoin d’être tranquille. Rangement ce qui était de trop sur son plan de travail, il se mit à siffloter. Tout le monde le fixa alors. Mais il n’y fit pas plus attention que ça et continua de siffloter, avant de voir Dawn arriver.

Je dois passer vous prendre à quelle heure et à qu’elle adresse ce soir ?

Rangeant un plat, il se tourna vers la jeune femme qui semblait clairement surprise par ses propos.

Votre chef m’a dit de vous amener à un speed-dating, donc j’aurai besoin de savoir l’heure et le lieu où je vous prends.

Ce maudit Kale avait l’air d’être un parfait idiot, du moins du point de vue de Dawn, mais elle apprécia le fait qu’il n’insiste pas et la laisse tranquille alors qu’elle lui tournait le dos, « confortablement » installée dans le froid du frigo qui calmait paisiblement ses nerfs à vif. Ce n’est que bien plus tard qu’elle en sortit, reprenant du poil de la bête, et redevenant surtout le chef à la fois aimé et craint de cette fameuse cuisine du Bleeker’s. Hélas, une fois que l’heure de la fermeture eut sonné, Dawn manqua de s’étrangler avec sa salive face au discours de ce maudit Kale : lui, l’accompagner à cette horreur de speed-dating ? Nom d’un chien, il ne manquait plus que ça ! Hélas, puisque cela faisait partie du pacte passé avec la maîtresse des lieux et qu’elle n’avait pas le choix, la jeune femme commença par hausser les épaules, comme si cela ne la touchait pas le moins du monde, et grogna une phrase du genre : « Vingt-deux heures à Noho, Greenwich Village. » Elle se garda bien de lui donner son numéro d’appartement puisqu’elle allait bien se garder de le faire monter. Il allait devoir la prendre juste devant son immeuble et point barre. « Soyez ponctuel » s’empressa-t-elle d’ajouter alors qu’elle récupérait son manteau et s’empressait de quitter cet endroit de fou où elle aimait pourtant tant travailler avant que sa chef ne se mette en tête de lui trouver un Jules. Pourquoi le fait d’être célibataire était considéré comme une maladie, de nos jours ?! C’est ridicule. Au contraire, il vaut mieux être seul que mal accompagné, et Dawn en était un parfait exemple. Elle n’était pas plus malheureuse seule, après tout ! Surtout que d’ici quelques jours, sa nièce allait habiter chez elle…

Vingt-deux heures tapantes, devant son immeuble. La jeune chef descendit et y trouva, non sans en être horrifiée, la voiture de Kale garée et prête à l’emmener à cette maudite soirée. Dawn avait revêtu une magnifique robe d’une belle couleur bordeaux lui allant à ravir, dompté sa longue chevelure bouclée et s’était même maquillée en conséquence. Il valait mieux que sa patronne ne lui dise pas qu’elle ne faisait aucun effort… « Franchement, ça vous plaît d’aller dans ce genre de… chose affreusement glauque ? » demanda-t-elle sans même le saluer. Elle n’était pas à l’aise, comme en attestait le fait qu’elle tapote ses mains contre son petit sac en cuir brillant. Certains l’auraient été à moins. Le pire… c’est qu’une fois sur place, la responsable de ladite soirée opta pour mettre Dawn et Kale ensemble à la même table, pour les sept premières minutes, afin qu’ils ne fassent connaissance. La demoiselle en aurait mis sa main à couper : c’était un coup monté de sa patronne !

Dawn aurait dû s’en douter : Kale n’était rien d’autre qu’un zélé jeune chef, cherchant à se faire un nom quelque en soit le prix. Finalement, elle l’avait très bien jugé au premier abord, et ne risquait pas de ne pas rester campée sur ses positions premières à l’avenir. Elle soupira avant d’ôter son manteau et de s’asseoir juste en face de lui, arquant un sourcil face au sourire idiot qu’il lui lançait et qui lui donnait ni plus ni moins envie de mordre. Une chance qu’elle soit contrainte de jouer le jeu elle aussi, sinon elle lui aurait déjà envoyé un cure dent dans l’œil. Quelle idée de laisser des olives avec ce genre d’instrument à portée de sa main, aussi ! « Vous semblez être très doué pour jouer le jeu, ça ne fait pas le moindre doute ! » ne put-elle s’empêcher de noter avant de prendre une grande inspiration pour tenter de se détendre. Après tout, ce n’était rien d’autre qu’un mauvais moment à passer, un défi supplémentaire se heurtant à sa personne et qu’elle allait relever, comme d’habitude, avec un brio non dissimulé. C’était comme ça depuis toujours… elle n’était pas la fille de sa mère pour rien, après tout. « Juste entre nous : faire le lèche-bottes avec la patronne ne vous garantie absolument pas MON aval pour votre poste. Je ne prends que les gens compétents. Je suis quelqu’un de franc, inutile de vous laissez vous illusionner. » Dawn n’était pas quelqu’un de totalement injuste, comme quoi. Elle était juste exigeante, secrète, compliquée, très difficile à prendre et surtout à satisfaire. Le fait qu’il ait réussi sa première manche au restaurant plus tôt dans la journée ne lui garantissait rien pour la suite… car le test continuerait demain, un cran au dessus. Autant qu’il ne se le tienne pour dit.

« Je m’appelle Dawn Cooper. J’ai vingt-six ans et suis née en Antarctique. J’ai passé une grande partie de mon enfance à Londres, ce qui explique mon accent purement british. Je parle couramment français, aussi. La cuisine, c’est toute ma vie. Je monterai sûrement mon propre restaurant dans les années à venir, une fois les fonds nécessaires récoltés. Sinon, je travaille pour le Bleeker’s depuis trois ans. » La jeune femme ne jouait pas le jeu par pur plaisir, mais puisqu’ils étaient coincés l’un comme l’autre pour sept diaboliques minutes, autant éviter de se la jouer statue de cristal exposées en silence dans un musée réputé… « Hawaï, c’est loin. Pourquoi ne pas y être resté ? Oh et j’oubliais : je brûle de boire vos paroles concernant vos centres d’intérêts ! » Ironie, quand tu nous tiens…

Chacun leur tour, ils semblaient se sonder, s’analyser, se juger à leur façon jusqu’à ce que les mots ne remplacent de simples regards. Dawn n’y prenait aucun plaisir et subissait ce petit « jeu » plus qu’elle ne l’appréciait, mais comme tout bon chef qui se respecte, elle acceptait de temps à autre d’avoir à courber l’échine afin d’évoluer. Devenir chaque jour meilleure, voilà ce qui la bottait. Il y aurait toujours bien meilleur qu’elle et nul n’en n’avait davantage conscience qu’elle, mais s’approcher de chaque but qu’elle se fixait était une façon comme une autre de ne pas s’encroûter… ni devenir quelqu’un qui serait juste trop arrogant pour être honnête. Voilà la raison pour laquelle aucun mot prononcé par Kale n’était laissé de côté. Chacun de ceux-ci l’aidait à mieux le cerner, pourquoi pas le comprendre même dans une certaine mesure. Il ne faut pas croire… Dawn n’était pas juste un cœur sauvage. Elle s’intéressait à autrui, à sa façon. Elle ne savait simplement pas le faire comme tout le monde et tout ceci devait évidemment rester toujours secret. « Je fais de l’équitation depuis toujours. J’ai tout mes galops et c’est un bon moyen de décompresser. Sinon, je dessine beaucoup. Ça me permet de dévoiler ce que je pense à autrui de façon plus délicate, puisque je suis souvent brute de décoffrage. En revanche… si vous avez la main semi-verte, j’ai la main noire. Je n’ai aucun talent pour nos amis les plantes. » La jeune femme fit une grimace plus qu’elle ne sourit, mais elle trouvait néanmoins l’expression de la sœur de Kale osée et amusante. Elle n’irait sûrement pas parler de sa famille, puisqu’il ne lui restait à l’heure actuelle plus que sa nièce de huit ans, Zoé, pourtant il y avait des tonnes d’expressions qu’elle aurait pu donner et que sa sœur Ellie prononçait souvent…

« Je ne pense pas du tout que vous voulez prendre ma place. Si je l’avais pensé, je ne vous aurais même pas testé, ça tombe sous le sens. Vous êtes encore un oisillon dans ce monde cruel qu’est la création culinaire… n’y voyez pas d’arrogance particulière je sais que vous en avez conscience. Vous avez simplement été engagé sans que l’on m’ait concertée avant. J’aime reconnaître les talents à l’avance, savoir que je peux compter sur quelqu’un en cas d’absence de ma part et, surtout, pouvoir donner leur chance à des personnes méritantes. Ça ne veut pas dire que vous ne l’êtes pas, mais tant que je ne me serais pas fait de véritable idée sur vous, je resterai en retrait, en observatrice. Détrompez-vous : je n’ai encore rien jugé de précis. » Dawn prit à nouveau une grande inspiration tandis qu’elle avait l’impression d’avoir parlé pendant des heures… il leur restait encore six minutes. Diantre, le temps passait à une lenteur effroyable ! « D’autres poncifs que vous avez à avancer sur moi ? » Le questionnaire était loin d’être terminé : à son tour donc de poser une question.

Cette discussion vira décidément vers des sujets beaucoup plus personnels et, fatalement, cela lui déplaisait de plus en plus. Fallait-il qu’elle soit contrainte de par sa patronne sans quoi elle aurait depuis longtemps vidé l’intégralité de son verre d’eau à la face de Kale. Il ne perdait sûrement rien pour attendre, cependant. Dawn était un véritable feu sous la glace, et derrière cet apparent contrôle se trouvait une rage de vaincre que l’on ne trouvait chez personne d’autre. Elle ne savait pas encore très bien si le fait de défier autrui était un trip ou s’il était l’innocence incarnée, mais l’un dans l’autre, ce genre de comportement ne lui allait pas et agaçait fortement la jeune femme. Elle se racla cependant la gorge, mis de côté les centres d’intérêts dont elle venait de parler pour faire en sorte que l’huître ne se referme pas sur les doigts du damoiseau lui faisant face. Il serait bien douloureux de s’en remettre pour lui si elle s’adonnait à ce petit jeu… surtout qu’elle avait finit par passer maîtresse dans cet art délicat. « Mon équipe ne se méprend jamais sur mes propos et sait toujours à quoi s’en tenir avec moi. Ils savent que je ne suis pas la personne la plus souriante de cette planète mais je suis quelqu’un de fiable et qu’à tout moment ils peuvent se reposer sur moi. En échange, je veux la perfection, ou du moins ce qui s’y rapproche. J’ai une sainte horreur des risettes pour ce qu’elles représentent… un sentiment faux. Alors c’est vrai, l’amabilité n’est pas une qualité que je possède, mais d’un autre côté, aucun équivoque n’est possible avec moi. Vous ne pouvez pas vous faire une idée en si peu de temps… vous ne me connaissez pas le moins du monde, alors tâchez de ne pas le perdre de vue. » Dawn était sévère mais juste ; comme sa mère avant elle, puisqu’elle lui avait tout appris. Mais à sa décharge, elle avait dû s’occuper de se construire à moitié seule à la mort de celle-ci, sa sœur aînée ayant été contrainte de faire de même. Son histoire n’était pas évidente… mais elle avait la décence de ne pas emmerder tout le monde avec ses problèmes.

« Je n’aime pas particulièrement le froid, non, monsieur je pense tout savoir. Mais le froid calme mes nerfs quand de petits plaisantins les mettent à vif. Cela m’aide à réfléchir posément et à éviter d’agir sur le coup de la colère. Et aujourd’hui, cela m’a permis de pleurer en solo sans que personne ne vienne me prendre en pitié. Satisfait Sherlock ? Parlons d’autre chose, voulez-vous. » Le ton tranchant de Dawn n’aurait souffert aucune réponse. Elle but par conséquent une gorgée d’eau, cherchant une nouvelle question à lui imposer afin de lui renvoyer l’ascenseur… hors de question qu’elle soit la seule à se dévoiler, après tout. « Pourquoi vous avez toujours l’air de prendre toujours à la légère ? C’est votre femme qui trouve ça sexy chez vous ? »

Dawn semblait sûre d’elle. Dans son travail c’était une bonne chose, mais là il en doutait. Seulement, il fut attentif jusqu’à la question de la jeune femme. Esquissant un sourire, il secoua la tête négativement.

Pas de femme, ni de petite amie ou petit ami.

Etrangement, on lui demandait parfois s’il n’était pas gay. Non, il était joyeux, c’était ça la différence.

Je ne prend jamais rien à la légère. Sauf le fait que ma mère veuille me voir marié et avec des enfants.

Grimaçant à cette pensée, ça l’amusait de voir sa mère lui dire à chaque visite qu’il devait laisser une femme entrer dans sa vie. Il n’en avait pas besoin pour le moment. Il voulait d’abord un emploi stable et il verrait pour la suite.

Pour en revenir à ce que vous disiez, vous ne me connaissez pas plus que moi envers vous, seulement vous vous êtes déjà fait une idée de qui je suis. En tout cas, de ce que vous savez aujourd’hui. Alors ne me dites pas que je ne peux pas chercher à savoir qui vous êtes. Je veux le savoir, pour avoir un patron qui aura confiance en moi et surtout savoir comment ma patronne, en l’occurrence vous, voit son métier et sa vie, pour que je puisse en faire autant et anticiper certaines choses.

Fixant la jeune femme, il prit le verre qui était en face de lui et avala une gorgée.

Concernant le fait que les gens puissent venir vers si vous n’allez pas bien, ça n’est pas vous prendre en pitié, c’est être à vos côtés et vous aidez à surmonter des moments difficiles.

Avalant à nouveau une gorgée de sa boisson, il la reposa sur la table et y posa ses mains également.

Pour ce qui est des sourires, c’est parce que je ne tiens pas à faire la tête toute la journée. Je suis du genre à sourire souvent, mais pas pour me moquer, juste parce que je préfère être comme ça, c’est tout.

Mais également parce qu’il cachait le fait qu’il soit dyslexique. Pas besoin que tout le monde le sache.

Pourquoi est-ce que votre chef vous veut ici ? Juste pour que l’on parle tout les deux ou pour que vous trouviez un homme ?

Ca lui semblait étrange. Un chef ne nous pousse pas dans ce genre d’endroit sans une idée derrière la tête et encore moins quand c’est uniquement un patron et pas un ami.

Leurs deux tempéraments étaient diamétralement opposés et si cela ne dérangeait pas spécialement Dawn, elle ne pouvait pas nier que le fait qu’il soit si souriant l’étonnait. Certes, sa façon d’être étonnée revenait à envoyer l’autre sur les roses, mais on ne refait pas un vieux lion affreusement têtu après tout. Dawn n’avait jamais prétendu être facile d’accès. Au contraire, au départ, elle en décourageait plus d’un et souvent, elle faisait même peur aux membres de son équipe. Mais elle savait aussi bien gérer les pires merdes, et ça, ce n’était pas une vaine qualité. Lorsque le restaurant avait eu les services d’hygiène sur le dos, la patronne avait été plus que ravie que Dawn prenne les choses en main. Elle avait le goût pour diriger, et l’avait toujours eu. On se planquait derrière elle plus qu’on ne la craignait, au final… il fallait simplement savoir la prendre, n’en déplaise aux plus médisants. Que Kale ne comprenne pas ça ne l’étonnait pas, après tout, il n’était qu’un nouveau venu et ne connaissait pas encore son environnement de travail sur le bout des doigts. « Je me repose parfois sur les autres. Enfin, me reposais. J’ai perdu beaucoup, à ma décharge, et on ne m’a jamais facilité la vie. Forcément, je suis une femme qui fait un métier masculin… je ne sais pas si vous vous êtes rendu compte de la chose, mais mon équipe est quasiment exclusivement masculine. Il m’a fallut faire ma place au départ. Prouver que j’en avais aussi dans le pantalon, dans une certaine mesure. C’est ce qui explique en définitive que je sois crainte. C’est plus confortable, parfois. Cela permet un travail facilité, ne vous en déplaise. Je n’ai pas dit que vous ne pouviez pas savoir qui je suis… juste que vous êtes un petit nouveau qui ne connait pas encore le restaurant et ses anciens occupants, voilà tout ce que j’ai dis. Cela ne signifie pas que vous êtes incompétent ou que vous ne pouvez pas compter sur moi. En revanche, et c’est plutôt logique : je n’ai pas confiance en vous. Raison logique : je ne connais quasiment rien de vous. Ou ne connaissait quasiment rien, devrais-je dire. »

Dawn ne le lâchait pas de yeux, comme si elle cherchait à démêler le vrai du faux dans son regard. Jusqu’ici, elle devait bien admettre que sa sincérité se faisait de plus en plus flagrante. Non pas qu’elle n’ait strictement rien à lui reprocher, mais elle ne voyait pas de raison d’être injuste envers lui. Exigeante, oui. Injuste, non. « Le sourire cache des choses. Le sourire peut être faux. Il est plus aisé de lire dans un visage lisse que sur un visage marqué… voilà pourquoi je privilégie l’impassibilité. On ne prendrait au sérieux si je riais comme une pintade à longueur de journée, et n’y voyez pas d’offense particulière : vous êtes un mec. » Puis vint LA question fatidique. Lui avouer la vérité ou détaler comme un petit lapin ? Bah… si elle n’était pas le corbeau de mauvais augure, sa patronne s’en chargerait pour elle. « Ma patronne est persuadée que je ne vis que pour ma cuisine maintenant que je n’ai presque plus aucune famille. Elle m’a donc contrainte à suivre une thérapie pour être sûre que je n’allais pas lui claquer entre les doigts et, à mon corps défendant, elle m’oblige à essayer de me trouver quelqu’un. Même si je la pense suffisamment intelligente pour se rendre compte que c’est peine perdue… quand on oblige quelqu’un à faire ce qu’il ne veut pas faire, le résultat ne peut être que moindre. Pourquoi vous avez accepté, vous ? Pour plaire à votre mère ou pour vous faire bien voir du big boss ? »

Le fait que la jeune femme lui dise tout, tout de suite était agréable, vu qu’il pouvait donc savoir ce qu’elle pensait. L’écoutant parler, il comprenait le fait qu’elle ait besoin de s’affirmer, surtout dans un monde entouré d’homme. Le fait qu’elle n’ait pas confiance en lui parce qu’ils ne se connaissaient pas encore est très compréhensible. Après tout, c’était réciproque. Il ne pouvait pas lui faire confiance, vu qu’il ne savait pas encore tout d’elle. Il était donc là sur un pied d’égalité.

Vous n’êtes pas obligé de rire à longueur de journée, mais de temps en temps, avoir un sourire sincère pour d’autres.

Ca n’était pas énorme. Mais la remarque sur le fait qu’il soit un homme lui fit froncer les sourcils.

Comment ça je suis un mec ?

Il se demandait ce qu’elle voulait dire par là. Seulement, la conversation vira sur finalement pourquoi ils étaient là ce soir. A la réponse de la jeune femme, il se demandait si sa patronne n’était pas une amie de Dawn ou si elle ne faisait que couvrir ses arrières en aidant la poule aux œufs d’or qu’elle avait dans ses cuisines.

La seconde solution. C’est la première fois que je viens et je ne me voyais pas lui dire que je ne pouvais pas vous accompagnez ici. Je souris peut-être souvent, mais je sais rester poli et écouter les consignes de ma possible patronne.

C’est vrai que lui dire non, qu’elle devrait se débrouiller avec Dawn ne lui était pas du tout passé par l’esprit.

J’aime bien entendre ma mère me répéter que je dois venir dans ce genre de lieu ou m’inscrire sur des sites de rencontres. Mais ça n’est pas du tout mon truc et si elle sait ce qui s’est passé ce soir, je risque d’en entendre parler pendant longtemps.

Encore plus s’il repartait sans un seul numéro de téléphone. Mais il n’était pas là pour ça. C’est pour ça aussi qu’il n’avait pas envie de changer de table. Il n’avait pas envie de parler de lui et être prit pour un bout de viande par des femmes en manque d’homme dans leurs vies.

Pourquoi vous fait-elle faire tout ça ? Si vous préférez cuisiner c’est votre droit.

Il ne voyait vraiment pas où le fait d’être célibataire pouvait être un problème pour leur chef. Après tout, chacun fait sa vie comme il l’entend.

Je suppose qu’elle ne dit pas ça aux hommes présents dans son établissement ?

Finalement, si Dawn avait un léger problème pour laisser clairement entrevoir ses émotions, Kale était bien l’inverse. On pourrait presque rajouter qu’il avait une fâcheuse manie à prendre les choses légèrement, sûrement en vue de cacher quelque chose de plus profond. De toute évidence, leurs deux comportements cachaient de douloureuses plaies… restait à mettre un nom sur lesdites plaies. La jeune femme n’avait pas l’impression que la mère de son second potentiel soit le cœur du problème, vu qu’il lui paraissait tout à fait sincère en lui confiant aimer son côté maman poule… quel fils digne de ce nom n’aimerait pas après tout ! Mais Kale n’avait pas l’air non plus de s’opposer beaucoup à autrui. Le rire devait être son arme la plus redoutable, tandis que Dawn n’hésitait pas une seconde à rentrer dans le lard de clients irrespectueux ou même dans celui de sa patronne lorsque celle-ci poussait trop loin mémé dans les orties… si elle ne s’opposait pas à elle pour ce foutu speed dating, c’est bien parce qu’elle la pensait tout à fait capable de la virer dans le cas où elle ferait un petit excès d’arrogance. Il ne fallait jamais trop copiner avec ses patrons, comme quoi ; sinon ils se mettent à connaître vos faiblesses et à frapper d’autant plus fort dès qu’ils en ont l’occasion. « Je ne sais pas pourquoi. Parce qu’elle connait certains attraits de ma vie et qu’elle pense que mon âme est à sauver, sans doute. Quelque soit sa raison, je n’en n’ai cure… ce qui m’importe c’est le résultat. Et je la crois totalement capable de me présenter joyeusement la porte dans le cas où je me rebellerais. Comme vous, j’ai besoin de travailler. Sûrement plus que vous, d’ailleurs. » Kale avait une famille derrière lui, la réciproque n’était pas du tout vraie. Dawn était toute seule, et bientôt responsable légalement de sa nièce… autant dire qu’elle allait d’autant plus avoir besoin de son job pour éviter de se couler toute seule.

« Vous avez mis le doigt dessus, quelle perspicacité ! Je vous l’ai dit… être une femme dans ce monde si masculin, ce n’est pas confortable. C’était pour ça, le terme « mec » en fait. » Dawn haussa les épaules, comme si rien ne lui importait, mais elle esquissa un très maigre rire alors qu’il lui dévoilait que sa mère l’avait déjà inscrit sur des sites de rencontres. Nom d’un chien, sa génitrice était sûrement pire que sa patronne à elle ! Quoi que, elles pourraient sûrement faire équipe dans le genre… « A trente-trois ans, ça ne vous ait pas venu à l’esprit de lui dire que vous étiez un grand garçon capable d’attacher ses chaussures tout seul ? Hem. Et qu’est-ce que votre sourire cache, sinon ? Vous ne souriez pas uniquement pour être agréable, du moins je ne pense pas. » Le sérieux de Dawn était rapidement revenu au galop, malheureusement… cela dit, elle jouait le jeu, difficile de dire l’inverse.

Oh c’était totalement vrai. Il ne fallait pas copiner avec ses patrons. C’était l’erreur ultime. En tout cas Kale le pensait ainsi. Il ne l’avait jamais fait avec ses patrons, mais il savait quand faire plaisir, même si ça l’ennuyait royalement. Mais parfois, mêmes les plus durs efforts ne sont pas récompensés comme il faut ou pas du tout. Dans la situation de Dawn visiblement la chef comptait amener la jeune femme un peu partout pour qu’elle trouve un homme qu’elle puisse mettre dans sa vie. Seulement, ça ne voulait pas dire que ce type resterait pour toujours. C’était un point à prendre en considération également. Elle pouvait trouver quelqu’un qui ne resterait que quelques jours, quelques semaines ou mois, mais qui ne serait pas celui sur lequel elle pourrait compter, donc si à chaque fois la chef se mêlait de tout ça, ça allait être vite énervant pour Dawn. En tout cas, ça le serait pour Kale. Il hocha la tête à sa réponse sur le mec dont elle avait parlé juste avant. Puis, en l’écoutant parler, il haussa les épaules et soupira.

Vous croyez vraiment que je ne lui ai rien dit ? Elle a commencé quand j’ai eu 27 ans. Les deux premières années, je lui ai dit de laisser tomber. Que ça viendrait quand ça viendrait. Mais, elle n’a pas lâché l’affaire. Du coup, je la laisse dire. En face, j’ai ma sœur qui est célibataire, elle a le droit au même traitement, mon père qui tente de canaliser ma mère et mon frère lui est avec une fille, mais je dois dire qu’il aurait clairement pû trouver mieux.

En effet, Kale n’aimait pas la petite amie de son petit frère. Elle était trop brut de décoffrage à son goût, bien plus que ne l’est Dawn. Ca ne lui plaisait pas et il avait l’impression qu’elle était là par intérêt plus que par amour.

Du coup, aujourd’hui, je la laisse faire et ça me passe au-dessus. De toute façon je lui ai dit que même si je trouvais une petite amie, ça ne voulait pas dire qu’elle resterait dans ma vie pour toujours. Elle peut en avoir marre de moi ou inversement et du coup que je redevienne célibataire à nouveau.

Haussant les épaules, il savait que sa mère ne lâcherait pas l’affaire aussi facilement, mais aujourd’hui ça n’était plus son problème. En tout cas, pas le premier.

Mon sourire ? Il n’a rien de particulier.

Se mettant à sourire exprès, il fixa la jeune femme.

Mais s’il cache quelque chose, comme vous dites, ça serait trop facile si je vous le disiez tout de suite.

Attrapant son verre, il en but un peu et soupira doucement.

Vous allez vraiment voir tous les hommes qui sont dans cette pièce et repartir avec des numéros ? Ne me dites pas que votre chef veut voir les numéros que vous aurez ce soir ?

Dawn se surprit à envier subitement ce parfait inconnu cherchant simplement à obtenir un poste de second dans le restaurant où elle travaillait en tant que chef. La famille de Kale semblait unie, chose qu’on lui avait arrachée, et si elle n’avait pas un tel contrôle sur ses émotions, probablement aurait-elle lâché une larme ou deux. Le souvenir de sa mère restait affreusement douloureux, surtout à cause du fait qu’elle avait été un modèle formidable pour la jeune femme. Quant à son père… il était mort alors qu’elle était toute petite, inventeur fou qu’il était. Sa science avait finit par avoir raison de lui, et si Dawn respectait l’acharnement au travail plus que quiconque, il lui manquait chaque jour que dieu faisait. Plus récemment, on lui avait arraché sa sœur, et la contraignait à faire office de mère de remplacement pour une petite fille de huit ans seulement… diable, Dawn aurait tout donné pour lui éviter de connaître cette tragédie. Mais comme quoi, les prières et les rêves sont pour la bleusaille, avec ce qu’ils apportent comme déception et désillusion… la jeune femme refusait de s’y adonner. Cet âge était révolu depuis des lustres. « Donc, votre sourire cache quelque chose. Facile de le deviner à votre façon de me défier… mais la curiosité n’est pas mon fort. Que vous cachiez ou non quelque chose m’importe peu, ce n’est pas ce qui m’empêchera de dormir. Cela me conforte simplement dans mon idée première sur vous : qui que vous soyez, vous cachez juste votre jeu, comme tous les autres. » Certes, elle faisait une légère généralité. Mais ce qu’elle disait n’en demeurait pas moins vrai : avec la famille unie qu’il avait, Kale ne pouvait pas cacher la moindre chose ignoble de ce point de vue là… à moins qu’il ne soit vraiment très bon acteur, ce dont elle se permettait de douter, en toute impunité.

« Honnêtement ? J’attends patiemment que ces foutues sept minutes soient écoulées pour tracer ma route, ruminer le fait que j’ai mis une jolie robe pour rien, comme je m’y attendais, mais que j’ai pu vous cerner bien mieux. C’est ce que je mettrai en avant à ma boss demain. Ma foi, si elle veut croire que je ne vis que pour la cuisine… qu’elle le croit. Surtout que c’est la vérité. Personne ne me surprend, personne ne me donne envie de voir plus loin, alors je m’en tiens là et c’est parfait ainsi. » Dawn cessa le contact visuel pour la première fois depuis le début de leur conversation, balayant la salle du regard en se désespérant de toutes ces femmes à peine capable d’allonger trois mots d’à filée… quelle pitié, sincèrement. Mais après tout, son cauchemar allait bientôt toucher à sa fin et elle avait plutôt bien joué le jeu à son goût. Bien suffisamment, dans tous les cas.

Je ne suis pas comme les autres. Je suis fidèle en amitié comme en amour. Je ne suis pas marié, je n’ai pas de petite amie. Je ne cherche pas à draguer pour coucher et jeter. Si vous devez chercher, ne prenez pas tous les hommes comme généralité, ça vous fait refroidir.

Haussant les épaules, il pouvait dire que peu d’homme était comme lui. Ca n’était pas des traits de caractère que tous les hommes ont qui fait qu’il sourit souvent. C’est sa dyslexie. Il ne peut pas en parler comme ça. Il en avait déjà parlé à des employeurs par le passé et il n’avait pas eu les postes. Désormais, il n’en parlait pas et quand il devait lire, il prenait son temps ou alors il faisait en sorte de ne pas à avoir lire. Mais il fut intrigué par le fait que Dawn accepte de voir tous les hommes présents dans la salle. A l’écoute de sa réponse, il comprit déjà mieux.

Ca veut donc dire que je devrais plutôt rester demain chez moi ?

Haussant un sourcil, il se demandait si c’était un sous-entendu de la jeune femme. Mais, il était surprit que la jeune femme soit encore là.

Dommage pour moi.

Attrapant son verre, il but le reste d’eau qu’il avait et le reposa sur la table. Finalement, il devrait chercher un boulot. Grimaçant et jouant en gonflant ses joues, il regarda autour de lui. L’ennuie allait clairement vite arriver. Il y avait quelques femmes séduisantes, mais il n’était pas du tout là pour ça.

Vous voulez aller manger un truc ?

Après tout, si elle ne voulait pas rester là et qu’il était le chauffeur, ils pouvaient aller manger en ville.

Comme je suis votre chauffeur et que vous voulez partir, on peut aller manger un bout en ville si vous voulez.

Après si elle préférait rentrer chez elle, il la ramènerait et ne poserait pas de questions, mais il avait faim. Etrange, vu qu’il avait mangé un peu avant de partir. Mais il était un vrai ventre sur patte. Il pouvait manger sans souci.

Dawn fut tentée d’arquer deux grands yeux ronds face à la réaction de Kale, mais se retint de justesse : inutile de lui faciliter la vie, ce ne serait pas drôle. Elle l’écouta donc jusqu’au bout avant de se lever sans autre forme de procès, lui indiquant d’un seul regard qu’il pouvait la suivre sans plus donner de détails. Comme à chaque fois qu’elle avait à faire avec la gent masculine, le mystère était pour ainsi dire sa plus grande arme. Mais Dawn s’occupa tout d’abord de récupérer son manteau, de saluer la réceptionniste et de sortir comme elle était venue, à savoir comme un courant d’air. Décidément, ce genre de soirée ne l’enthousiasmait pas le moins du monde et cela ne risquait pas de changer maintenant qu’elle avait dû tester son potentiel futur second par ce biais. Comme elle détestait sa patronne, parfois ! Surtout que Kale devait déjà s’être fait à l’idée de devoir chercher un autre boulot demain, la jeune femme ne lui ayant donné aucun indice vis-à-vis du contraire. Il s’agissait d’un agissement bien cruel à l’égard de ce parfait inconnu ne paraissant aucunement désagréable, mais en vérité, elle le testait. Il fallait bien qu’elle s’assure du fait qu’il ait les épaules et les reins solides en cas de pépin, non ? C’était une façon comme une autre de s’assurer qu’en cas d’absence de sa part, il soit en mesure d’assurer comme s’il était lui-même le chef principal. Somme toute, ce n’est qu’une fois dehors que la jolie Dawn s’exprima finalement, sans forcément vouloir mettre un terme définitif à l’agonie du jeune homme… « A votre tour, évitez donc de faire des généralités. Nous ne sommes pas normaux, nous cuisiniers. Tâchez de le garder en tête. » S’il l’avait connue depuis longtemps et sur le bout des doigts, peut-être aurait-il compris qu’elle cherchait à lui faire comprendre que sa décision n’était pas encore arrêtée, et ne le serait qu’après son énième test réussi. Il y avait de quoi lui mettre des baffes, mais il n’empêche qu’une fois cet ultime test passé, il pourrait presque la considérer comme sa « nouvelle meilleure amie ».

« Puisque vous le proposez, surprenez-moi. Vous avez sûrement une idée de restaurant là, comme ça, tout de suite sur le bout de la langue ! Vous êtes le chauffeur vous avez dit… alors soyez aussi un gentleman et tâchez de me prouver votre goût en matière de cuisine. » Dawn était décidément unique en son genre… si son palais était ne serait-ce qu’un peu séduit, il marquerait un point définitif vers son embauche. Dans le cas contraire, ils se quitteraient « bons amis » et ne seraient probablement jamais amenés à se revoir. Mais là-dessus, difficile de dire si Kale allait jouer la carte de la curiosité ou continuer de considérer qu’il allait devoir chercher un nouveau job à partir de demain matin.

En voyant la jeune femme partir, il haussa les sourcils. Quand il avait proposé de partir, il pensait tout de même attendre le changement de partenaire. Regardant autour de lui, il sourit poliment et sortit de cet endroit où il ne mettrait pas les pieds pour ce genre d’évènement. Du coup, il écouta ce que lui disait la jeune femme. Haussant un sourcil, il ne savait pas s’il avait bien comprit ou pas. Du coup, il resta attentif sur tout ce qu’elle lui disait. A vrai dire, il ne connaissait pas encore tous les restaurants de la ville. Ca faisait trois ans qu’il y vivait, mais il n’avait pas encore tout vu. Mais ça serait un challenge.

Je n’ai pas d’idée précise, mais si je devais choisir au hasard et rapidement je peux vous amener quelque part.

Allant vers sa voiture avec la jeune femme, il la laissa y entrer et s’y installer. De son côté, il en fit autant et mit sa ceinture avant de démarrer. Puis, il prit la direction d’un restaurant qu’il aimait bien. Ca n’était pas de la grande cuisine. Enfin pas un cinq étoiles. Uniquement un trois étoiles. Mais pour Kale c’était un endroit non seulement agréable, pour la décoration, l’ambiance, le service et la cuisine. Tout était réunit pour que ça soit un bon restaurant. Une fois là-bas, il sortit du véhicule et entra dans le restaurant.

Bonsoir.

Le maître d’hôtel fut apparemment content de le voir et lui serra la main. Faisant les présentations, il demanda sa table habituelle et le maître d’hôtel les y envoya. Il demanda ensuite s’il pouvait prendre leurs manteaux et ils prirent place. Recevant la carte, il la regarda tranquillement.

Comme vous avez pû le remarquer, c’est un restaurant trois étoiles. Moins que celui dans lequel vous travaillez, mais tout y est pour qu’ils gagnent une nouvelle étoile.

D’ailleurs, il suivit régulièrement les résultats pour savoir quel établissement recevait une étoile et qui perdait. Il aimait bien se mettre au courant de ce côté-là.

Vous avez une envie particulière ?

Il avait bien pensé l’amener dans un restaurant normal, mais il se disait que ça lui ferait sûrement perdre des points et Dawn ne collait pas à un établissement normal.

Les rares fois où Dawn avait le malheur de sortir effectivement en compagnie d’un homme, on cherchait toujours à lui en mettre plein la vue. On lui choisissait la cuisine d’un palace le plus luxueux qui soit, dépensait des fortunes dans le vain espoir d’obtenir ne serait-ce qu’un sourire ou une attention véritable de la part de la jeune femme… mais elle finissait toujours par agir avec nonchalance et un profond désintérêt au final. Dawn détestait par-dessus tout qu’on lui lèche les bottes, que l’on en face des tonnes et que l’on oublie la plus fondamentale des qualités : le naturel. Somme toute, ce Kale semblait en être doté et, si elle n’avait pas opté pour la plus petite réaction jusqu’ici, cela ne voulait pas dire qu’elle n’était pas attentive à tout ce qui se jouait devant ses beaux yeux noisette depuis leur entrée dans ce fameux restaurant trois étoiles. Sans doute ne le saurait-il jamais, mais elle y avait souvent mangé avec sa sœur Ellie juste avant son installation définitive à New York. Dawn trouvait le cadre à la fois audacieux et agréable, sans fioriture déplacée… l’idéal selon elle, et ce à quoi elle voudrait que le Bleeker’s continue de ressembler même dans plusieurs années. Finalement, en lui demandant ce qu’elle voulait, il s’attendait sûrement à ce qu’elle ne commande un véritable menu, avec entrée, plat et dessert… mais Dawn n’était pas aussi pâle et sans relief qu’il n’y paraissait. A cette heure-ci, un peu de sucré ne lui ferait aucun mal. « Je tuerais littéralement pour mille feuilles préparé à la française avec un Himalaya de crème anglaise. » Le maître d’hôtel avait bien noté cet excellent choix, d’autant qu’il s’agissait là d’une spécialité de la maison, et laissa Kale commander avant de ne laisser le duo de cuisinier à leur discussion… qui pour l’instant ne se résumait pas à grand-chose, hélas. Pour l’instant.

« Choix judicieux. Je connais le chef depuis un moment, pour être honnête. Vous êtes bien le premier à ne pas donner dans l’esbroufe et à garder la tête froide devant un goût des choses simples. C’est une grande qualité. Je ne dis pas que vous êtes parfait, n’allez pas prendre la grosse tête… mais votre choix était avisé et sage. » La jeune femme ne comptait pas lui simplifier la vie juste parce qu’elle allait donner son aval pour son embauche, qu’il n’aille surtout pas se faire d’illusions à ce sujet. Mais disons qu’elle serait probablement légèrement plus souple… quoique, ce n’était pas dit. « Comme je le disais, vous faites une généralité. Je vous ai testé, sournoisement je l’admets, mais vous êtes parvenu à un résultat correct. Inutile donc de chercher un autre job puisque je compte donner mon aval à la patronne demain matin. » Après être partie à la criée pour y dégoter les meilleurs produits, bien évidemment, et ce bien que cela implique de se lever avant quatre heures du matin. Dawn venait tout de même de lui rendre un fier service… sans y mettre beaucoup de mauvaise volonté.