e soir-là, Tomoe travaillait au fast-food qui faisait face au stade des Yankees, dans le Bronx. Cela faisait plusieurs années qu’il avait déniché ce boulot et il s’y était toujours énormément investi pour le garder le plus longtemps possible. Ses efforts avaient payé, puisque très récemment, malgré le fait qu’il ait réduit ses heures pour reprendre ses études, le nippon avait reçu une promotion. Il gérait à présent le service à emporter du célèbre fast-food. Le salaire n’était pas immense, mais il lui permettait de survivre. Quant à ses études, il les payait grâce aux économies qu’il avait faites durant de nombreuses années, quand il vivait encore dans son une pièce misérable, au loyer qui l’était tout autant. On comprenait pourquoi. Mais aujourd’hui, la galère, c’était terminé. Il avait repris ses études dans le but d’avoir un meilleur travail plus tard, avait reçu une promotion et s’était trouvé un appartement avec chambre, salle de bain, cuisine et salon. Le grand luxe, comparé à l’endroit où l’asiatique vivait précédemment.
Heureusement pour lui et ses collègues, ce soir, il n’y avait pas match. La soirée serait donc calme, à priori. Il arriva directement après sa journée à la fac, encore vêtu comme un étudiant lambda : baskets, pantalon baggy, pull en larges mailles et casquette. Le jeune homme salua ses collègues et se rendit dans le petit vestiaire pour enfiler le tee-shirt à l’effigie de la célèbre enseigne rouge et jaune. En soupirant, il échangea sa casquette des Yankees pour celle – ignoblement moche – du boulot. Une fois prêt, il alla prendre son service. Jusque-là, rien d’anormal. « Tom ? Tu pourras servir au comptoir, ce soir ? Kate est malade, elle vient de me sonner. C’est déjà la sixième fois, ce mois-ci, j’vais finir par la virer » l’apostropha son manager. « Pas de souci » lui répondit le nippon, de bonne composition. Ce n’était pas toujours le cas, mais quand son argent était en jeu, il fermait sa gueule et obéissait bien sagement.
Deux heures plus tard, il n’y avait toujours rien à signaler sortant de l’ordinaire. Une jeune femme aux cheveux rouges entra dans le fast-food et se mit dans la file de Tomoe. Il ne la remarqua pas tout de suite, malgré la couleur de ses cheveux, concentré qu’il était sur son travail. Quand arriva le tour de cette étrange et mystérieuse demoiselle, il lui sortit le discours habituel, après un regard suspicieux à sa couleur de cheveux : « Bonsoir, que puis-je vous servir ? ». Son ton n’était pas particulièrement avenant… il ne fallait pas trop lui en demander non plus, et il s’adressait de la sorte à tous les clients qui, à force, s’y étaient habitués.
Sujet: Re: Tomoe & Eva ~ Ressemblance frappante. Mar 5 Fév - 19:09
Mes journées étaient vraiment crevantes.
J'avais beaucoup à faire, entre mon poste d'enseignante, la nounou, le goûter et les devoirs, et les gazoullis incessants de mon fils dont la turbulence se consolidait chaque jour un peu plus. Depuis qu'il allait à l'école, j'avais un peu la paix ; mais c'était sans compter le tourbillon de mots dont il usait et usait encore en rentrant, en me racontant chaque jour ses nouvelles aventures au sein de la cour de récré. C'était attendrissant, mais j'avais mes limites... Après tout, les années étaient passées, et j'avais acquis avec l'âge un peu plus de patience et de plomb dans la cervelle.
Sonata aussi avait grandi. Je n'avais pas coupé ses cheveux depuis quatre ans, si bien qu'ils tombaient en boucles élégantes sur son dos ; son visage avait pris en finesse, et elle avait littéralement poussé. Je ne m'en plaignais pas, bien au contraire... Ma fille était devenue un petit bout de femme, et elle n'allait pas en s'enlaidissant, bien au contraire. Elle avait conservé son caractère calme, malgré les horreurs qu'elle avait pu voir pendant sa petite enfance. J'aimais mes enfants, plus encore qu'hier, moins que demain. Je passais le moindre de mon temps libre avec eux, pour faire les boutiques, les amener au parc ou dans un fast food de temps en temps... Or ce soir-là, je ne me souviens plus exactement comment nous nous étions retrouvés tous les trois dans le Bronx, mais j'avais choisi la malbouffe pour m'éviter une ultime séance de cuisine catastrophique. J'avais poussé la porte, tenant la main de mon fils. Celui-ci ne tenait plus en place, et choisissait à voix haute quel sandwich il allait prendre, lesquels étaient bons et pas bons... Sous les yeux exaspérés de sa grande soeur qui n'espérait déjà plus qu'une chose : qu'il la ferme.
En faisant la queue, j'avais observé un petit moment Mateo, du coin de l'oeil. Il ne tenait rien de moi. Ni son nez aquilin, ni ses boucles brunes, ni son regard plein de malice. Il m'arrivait parfois de ressentir une pointe de regret, de me demander comment j'aurais réagi, s'il avait d'avantage tenu de moi que de son père. Est-ce que cela aurait été plus simple, plus aisé pour moi de le regarder droit dans les yeux, sans avoir à affronter le regard de celui qui m'avait abandonné il y a cinq ans de cela ? Peut-être. Ou peut-être pas. L'affection que j'avais pour lui n'en était que plus renforcée... Même si j'aurais préféré mettre mes souvenirs au placard, au moins pour une journée.
"Bonsoir, que puis-je vous servir ?"
Perdue dans la contemplation des jolies boucles de mon fils, je n'avais pas remarqué que je venais d'atteindre le comptoir. Et lorsque je levais les yeux pour répondre... ... Je tombais nez à nez avec Sojiro.
Mon coeur rata un bond. Cela faisait maintenant cinq ans que mon ami était mort, et que mon deuil avait été fait. J'avais tourné la page sur ce qu'il m'était arrivé à Miami, mais revoir ce visage, c'était comme recevoir un pain en pleine figure. Que faisait-il ici ? Et surtout, étais-ce lui ? Sur le coup, ma surprise l'emporta sur la logique.
"Putain de merde !!"
Mais évidemment, Mateo ne me laissa certainement pas le temps de poursuivre.
"Alors moi veux un cheesburger avec plein de frites et du coca, et un muffin, et une gaufre, et une glace, et..." Mais les babillements de mon fils étaient déjà loins dans ma mémoire tandis que mon cerveau buguait sur mon interlocuteur. Sauf que là, je n'étais pas vraiment disposée à prendre commande, hem hem.
"C'est toi, Jiro ?" "...Et un sundae au caramel, et un hamburger au bacon, et des oeufs frits avec du ketchup..."