Est-ce que tout le monde passait vraiment par là ? Est-ce que toutes les autres femmes avaient l’impression de mourir lentement ? Avaient-elles toute l’impression qu’on leur lacerait les entrailles, en commençant par le bas du ventre ? Parce qu’Elia était à peu près certaine que son cas était particulier et particulièrement douloureux. Elle ne pleurait pas évidemment, elle n’avait pas pleuré depuis des années, mais elle hurlait comme une louve en peine à la lune et lacerait tout ce qui lui passait sous les ongles. C’était inhumain, c’était invivable. On était en 2013, on n’avait peut-être pas encore inventé de voiture volante, mais on avait survécu à la fin du monde, pourquoi est-ce que personne n’avait inventé un moyen de passé à travers l’accouchement sans douleur ? Les médecins et les infirmières s’affairaient autour d’elle et l’Italienne arrivait à les voir bouger malgré la sueur qui tombait devant ses yeux. Elle sentait leurs mains sur son corps et tout ça la faisait crier encore plus. Elle aurait préféré qu’on la laisse tranquille, elle aurait préféré qu’on ne la touche pas et laisse la douleur s’envoler et la petite chose sortir d’elle-même. Mais apparemment ce n’était pas chose possible…. Elle s’était couchée très tôt ce soir, complètement épuisée par le poids supplémentaire qu’elle portait encore. Mais elle avait fini par se réveiller vers 2 heures du matin… Pendant un moment, elle avait cru avoir mouillé ses draps. La chose aurait été dégoutante, mais pas si étonnante… Bébé-garçon avait pris l’habitude d’utilisé sa vessie comme un punching-bag après tout et elle avait eu l’impression de dormir tellement dur… Mais les contractions avaient commencé par se faire sentir alors qu’elle mettait ses draps à la machine et elle avait dû attraper le sèche-linge pour ne pas s’effondrer au sol. Cléa l’avait conduit à l’hôpital et prévenue Lloyd et maintenant elle était là. Elle avait perdu la notion du temps, mais il faisait jour. Le petit prenait son temps. « Madame vous êtes presque au bout, respirer et poussez ! » L’Italienne essaya de lever son pied pour frapper l’infirmière en pleine face et lui montrer ce qu’elle pensait vraiment de ses conseils, mais l’étrier le tenait bien place et elle se contenta de criée encore plus forte. Dans un dernier cri de douleur, elle essaya de mettre le plus de pression possible sur son bas ventre pour faire plaisir à la pauvre femme et surtout pour arrêter, enfin, son calvaire. Elle sentit quelque chose de froid contre ses cuisses, rapidement, et laissa tomber sa tête sur l’oreiller, haletante. C’était fini? Vraiment ? Quelque chose d’étrange se passa dans la pièce, le silence tomba rapidement entre les médecins et les aides et Elia sentit un frisson lui traverser le corps. Tout le personnel quitta son chevet et la brune les perdit de vue, quelque part aux pieds de son lit. Elle les entendait chuchoter, elle ne pouvait pas entendre tout très clairement, mais ils lui cachaient quelques choses. Un autre détail clochait…. Si tout était terminé, si son fils était né… Pourquoi est-ce qu’elle ne l’attendait pas, criez? Ce n’est pas ce que tout le monde lui avait dit ? Ses petites choses venaient au monde en hurlant, ça lui avait paru raisonnable en premier lieu. Elle venait de s’époumoner à le mettre au monde, il pourrait y mettre de l’effort…. Mais là…. « Lloyd…. Lloyd qu’est-ce qui se passe…. » Elle réussie à tourner la tête suffisamment pour croisé les yeux de l’écossait. Si personne ne lui parlait, elle allait bientôt se remettre à hurler, elle le sentait.

Le temps passait si lentement... il voyait Elia crier, hurler et le jeune homme voyait bien qu'on tentait de la calmer mais ça ne servait à rien, l'italienne tuait toutes les personnes qui s'approchaient d'elle avec son regard. Du coup, Lloyd ne tenant pas spécialement à être une victime s'était mis tout près d'Elia mais pas dans son champ de vision non plus, si elle le voyait, elle risquait de le tuer ou l'insulter pour ce qu'il était entrain de lui faire vivre... il était le père après tout, il était le coupable. Cela dit les gens continuaient de demander à Elia de pousser, ça semblait si douloureux, il était content d'être un homme pour la cause. Puis au bout de plusieurs heures, il se passa quelque chose, Lloyd sentit que ça approchait alors il se rapprocha, il se permit même de déposer sa main sur le lit de l'italienne, son fils allait sortir et vivre. Il eut un frisson d'angoisse, il allait être père et il n'avait jamais vraiment eu de père, il espérait de tout son coeur qu'il ne serait pas lamentable et que William n'allait pas le détester ou quelque chose du genre...

Finalement, William sortit et Lloyd observa son fils quelques secondes avant qu'on bouche sa vue. Son fils était bleu... il pâlit, ça allait aller, il avait déjà entendu de choses ainsi, les médecins s'affairaient à aider l'enfant à respirer et tout allait pour le mieux. Tout irait pour le mieux ici, ils étaient dans le meilleur hôpital de la ville. Cela dit, la boule d'angoisse était bien là et son regard ne lâchait plus le dos des médecins et infirmiers qui s'étaient tous regroupé autour de l'enfant... « Lloyd…. Lloyd qu’est-ce qui se passe…. » le regard de Lloyd tomba sur Elia, elle semblait inquiète, tendue... l'écossais lui attrapa la main avant de répondre d'une voix bégayante... « Je ne... je ne sais pas... William était... » il était incapable de trouver les mots, tout le sang avait quitté son visage et celui-ci montrait l'effroi qu'il éprouvait... « Les médecins s'occupent de notre fils, ça va aller Elia » finit-il tout de même par ajouter en serrant légèrement la main de la jeune femme. Il se pencha vers elle pour l'embrasser légèrement sur le front. « Tu as été parfaite, forte, la plus merveilleuse » finit-il par conclure pour tenter de la rassurer, pour tenter d'oublier quelques secondes que les médecins semblaient toujours trop occupés avec l'enfant pour noter leur présence.

Finalement, ils arrêtèrent de bouger. Le médecin en chef se tourna vers eux en enlevant son masque et en se frottant le visage, il semblait si désolé. « Je suis navré mais on n'a... » « Non » le coupa Lloyd en secouant la tête de droite à gauche. « Le cordon était autour de... » « Non » répéta fermement l'écossais en le fusillant du regard. « Je veux le voir » exigea-t-il alors. Les médecins de la pièce se lancèrent un regard avant de finalement hoché la tête, une infirmière amena le petit corps de son fils et Lloyd tendit les mains tremblantes vers le corps sans vie de son fils. Son coeur se fendit en deux et en cet instant il fut certain que jamais son coeur ne s'en remettrait. Il serra quelques secondes son enfant dans ses bras pour tenter de lui prodiguer sa chaleur mais c'était en vain. « Laissez-nous... s'il vous plait... » supplia alors Lloyd sans plus les regarder mais en se tournant vers Elia. « Pardon... pardon... Elia » il ne savait même pas quoi dire, il se sentait brisé. Son fils était mort... mais avait-il seulement eu le temps de vivre ?

Elle n’avait plus de force, elle ne sentait plus rien du tout. Mais le silence de la pièce lui glaçait le sang. Elle pouvait s’entendre respirer. Elle essaya de relever la tête plusieurs fois pour voir ce qui se passait au bout de ses pieds, mais les docteurs, toujours de dos, lui bloquait la vue. Elle savait que quelque chose n’allait pas. Elle pouvait le sentir. Ses doigts se crispèrent à nouveau dans les draps et elle retient un nouveau cri au fond de sa gorge. Elle voulait son fils. Elle voulait voir* son fils. Elle ne comprenait pas qu’on ne lui amène pas encore. Elle l’avait fait grandir neuf mois entiers dans son ventre, elle l’avait sentie tous les jours. Ne plus l’avoir d’un seul coup était tellement cruel. Avec le peu de force qui lui restait, elle essaya de demander à Lloyd ce qui se passait, mais il n’eut pas vraiment de réponse non plus. « Je ne... je ne sais pas... William était... » « Était quoi ? » Elle s’appuya sur les coudes et se releva la tête le plus fièrement possible, ses cheveux encore mouillés tombaient de chaque côté. « William était quoi ? » Une infirmière se tourna vers elle, mais ne lui répondit pas pour autant. C’était frustrant. « Les médecins s'occupent de notre fils, ça va aller Elia » « S’occuper de quoi… » C’était inutile apparemment on ne répondrait pas à ses questions. Lloyd lui serra la main et l’embrassa sur la tête, mais l’Italienne avait l’esprit ailleurs. Elle fixait le dos des médecins comme si elle essayait de bruler un trou et voir au travers. « Tu as été parfaite, forte, la plus merveilleuse » vraiment? Elle ne se sentait pas forte du tout. Elle était vidée, complètement. La seule raison pour quoi elle était encore consciente, c’est qu’elle tenait à prendre son fils dans ses bras et tout le monde s’acharnait à le garder loin d’elle. Ça la tuait.

Un des goujats finit par venir vers eux. Les mains vides. Elia le regarda quelques secondes avant de retourner son attention vers les autres. Elle était pleinement assise (aider du lit amovible) et étirais le cou pour essayer de voir, elle avait juste besoin d’un signe quelques choses… Elle se doutait bien ce que l’autre allait leurs dire, elle pouvait le comprendre, elle ne voulait rien savoir… Elle voulait juste qu’on lui donne une excuse pour espérer juste un peu encore… « Je suis navré mais on n'a... » « Non » « Le cordon était autour de... » « Non » Elia leva sa main et la posa sur le bras de Lloyd pour le faire taire. Elle était étourdie. Elle se sentait… Elle était… Elle sentit quelque chose de chaud couler sur ses joues et se passa un doigt sur le visage avant de se rendre compte qu’elle pleurait. Elle ne se rappelait pas de la dernière fois qu’elle avait pleuré, même petite… Elle préférait crier. Mais aucun son n’était capable de sortir de sa bouche en ce moment. « Je veux le voir » Elia regardait toujours les infirmières et vue une d’entre elles prendre le corps de son bébé dans ses bras. La brune du mettre sa main devant son visage et se morde pour s’empêcher d’hurler à nouveau. Elle savait que si elle le faisait, il allait le reprendre. Mais même de son lit, elle pouvait voir que quelque chose n’était pas normal. Quelque chose clochait, il ne faisait pas que dormir…. Lloyd demanda au médecin de partir et ils étaient seuls. Le silence encore. Elle le détestait. Elle avait envie de lancer quelques choses sur les murs pour réveiller le monde qui semblaient s’être endormies autour d’eux. « Pardon... pardon... Elia » « Pardon pour quoi ? » Sa voix était encore rauque de tout à l’heure et elle avait mal à chaque fois qu’elle ouvrait la bouche. Elle tendit les bras et fit un signe vers son fils. « Please.. » Elle voulait le prendre dans ses bras, maintenant, parce qu’elle ne savait pas si elle serait capable plus tard.

Lloyd ne trouvait pas les mots pour expliquer ce qu'il se passait. Et encore moins pour exprimer ce qu'il éprouvait. Pour dire la vérité, il ne savait qu'une chose depuis que son fils était sorti bleu du ventre de sa mère : il était mort d'inquiétude. Et il espérait, parce qu'il était comme ça, parce qu'il avait besoin de croire que son fils allait finir par s'époumoner et faire rentrer l'air dans ses petits poumons. Parce qu'il l'avait attendu ce fils, cet enfant, il avait un nom et une place dans sa vie et son coeur, du moins, il avait préparé la place pour William. Il avait accepté et s'était montré ravi de devenir père. Il avait aimé voir le ventre d'Elia s'arrondir, et même si elle détestait qu'on la touche, quand il avait senti les coups de William sur le ventre d'Elia, il avait ressenti de tout son être la vie de son fils. Alors non, non, il ne pouvait pas croire qu'il n'allait pas... sa gorge se noua. Il devait vivre, il devait grandir. Lloyd avait tant de choses à lui apprendre, il avait tant de choses à lui montrer. Son fils. William. Mais il ne pouvait pas craquer. Un père ne craquait pas alors il n'allait pas le faire, il se concentra sur Elia, elle avait besoin de lui alors il tentait de lui répondre et de la rassurer. « William était quoi ? » Lloyd était incapable de répondre à cette question. Il se contenta d'attraper la main d'Elia pour la serrer. Fort. Plus fort qu'en temps normal... il attendait, les oreilles aux aguets, il attendait ce premier cri avec inquiétude. Ils en rigoleraient plus tard avec William quand il serait grand. Ou peut-être pas en plaisanter... mais ça allait le marquer, il le savait. « S’occuper de quoi… » encore une fois Lloyd était incapable de répondre à Elia, il ouvrit la bouche pour le faire mais se ravisa. Que pouvait-il dire ? S'occuper de faire respirer William ? Il ne pouvait pas. Elle allait stresser, elle allait paniquer... et elle n'avait pas à s'inquiéter inutilement.

Finalement, le docteur finit par revenir. Le silence était pesant et Lloyd refusa les paroles du docteur. Il sentit la main d'Elia mais il ne pouvait pas la regarder en cet instant. Il se sentait à peine respirer, il avait l'impression que quelque chose venait de s'écrouler, il ne savait pas quoi exactement, mais il avait le sentiment d'être brisé. D'avoir un poids sur le coeur qui n'allait sans doute jamais partir. Il voulait le voir. Il devait sentir le corps de William contre lui. Une fois, c'est tout ce qu'il aurait. Il posa son nez dans la nuque de son frère pour humer son odeur de bébé. Son bébé mort-né. Il se tourna finalement vers Elia et s'excusa. Elle pleurait, il ne l'avait pas remarquer. Il baissa la tête, la douleur d'Elia faisait écho à la sienne. « Pardon pour quoi ? » l'italienne fit un signe vers son fils. « Please.. » Lloyd se déplaça lentement vers Elia avant de s'asseoir sur le bord du lit, il caressa le haut du crâne de l'enfant avant de le confier à Elia. « Il est mort » finit par souffler Lloyd, il était le premier à le dire tout haut dans cette pièce. Il sentit une larme couleur le long de sa joue. « Pardon... » répéta-t-il sans arriver à enlever le poids de la culpabilité sur son coeur.

Le corps humain était étrangement fait. Quand une femme accouchait, une fois que c’était fait, elle ‘oubliait’ la douleur qu’elle venait juste de vivre pour ne pas en être traumatisé. Mais Elia aurait revolontier subit tout ça pour le restant de ses jours à la place de ce qui se passait maintenant. Elle se sentait complètement écraser sur son lit, l’air de la pièce était devenu trop lourd sur sa poitrine et elle arrivait à peine à respirer. Quelque part en elle, elle savait ce qui se passait, elle avait compris depuis un moment. Elle ne voulait juste pas… Elle ne pouvait pas. Ça ne pouvait pas lui arriver à elle. C’était injuste, elle avait connu l’injustice avant, mais rien ne semblait aussi pire que maintenant. Son fils à elle… Les médecins et les infirmières s’affairaient dans la pièce et Lloyd essayait de la réconforter, mais ce n’était pas ça qu’elle voulait maintenant. Elle aurait voulu pouvoir les faire disparaitre un à un. Ils faisaient trop de bruits et empêchaient son bébé de crier. Elle les voyait même plus, les sentait même plus. Le monde autour d’elle était embrouillé et elle avait le vertige, l’impression de tomber dans un puits sans fond, elle ne pouvait pas s’accrocher nulle part parce que le son qu’elle attendait pour se réveiller ne venait pas. « Il est mort » finalement, c’est ce qui la ramena dans la chambre. Le choc brutal, elle avait l’impression que tous ses os venaient de se fracasser au sol. Lloyd lui mit leurs fils dans les bras. Son corps était tiède contre sa peau, ses membres complètement mous. Elia le ramena contre elle et posa sa joue contre son front avant de l’embrasser sur la joue. Ses yeux étaient fermés, elle ne saurait jamais s’il avait les siens ou ceux de Lloyd. Du bout de son doigt, elle traça le contour de son visage, de sa bouche et pas une main dans ses cheveux. Il était parfait. « Pardon... » Elle serra William un peu plus fort contre elle et hocha la tête. Non, elle ne pardonnerait jamais. Lloyd, les médecins, elle-même, le monde entier, elle leur en voudrait toujours un peu, elle le savait. Elle embrassa son fils pour la dernière fois et le remis dans les bras de Lloyd avant de se tourner dans son lit et fermer les yeux. Elle allait s’endormir maintenant et peut-être qu’avec un peu de chance, elle n’aura pas à se réveiller non plus.