« Il est possible que ta mère se lance à ta suite parce qu’au fond d’elle, tu sais qu’elle a bon cœur… » Myrcella n’avait eu de cesse de se répéter ces paroles depuis son départ. Il lui avait semblé si simple de claquer la porte que son esprit était rivé sur cet acte depuis lors. Pourtant, jamais la jeune femme ne s’était emparée du moindre téléphone histoire de se repentir des conséquences de son départ. Comment diable aurait-elle pu ? La culpabilité ne devrait même pas la toucher, du reste. A aucun moment elle n’avait fait la moindre faute. Myrcella n’était pas un morceau de viande. Du moins cherchait-elle à s’en persuader, et telle était la raison pour laquelle elle se lançait le challenge de se rendre dans un bar lunch différent chaque midi. Suivant ses modestes moyens, bien évidemment, et ce midi n’avait pas fait exception. Armée de lunettes noires ainsi que de sa sempiternelle canne blanche, Myrcella avait fait une entrée malheureusement remarquée puisque bruyante : la porte avait eu beaucoup de mal à s’ouvrir, tant et si bien que la curiosité des consommateurs actuels de ce petit restaurant avait été immédiatement piquée au vif, comme s’y attendait la jolie aveugle. Impossible de passer inaperçu lorsque l’on porte une telle cécité sur ses épaules… il faut juste savoir s’y habituer. Tout comme au fait de subir les moqueries des personnes étroites d’esprit, comme c’était le cas d’un petit plaisantin venant juste de brandir son pied exprès pour que la jolie demoiselle trébuche et s’étale de tout son long en plein restaurant. Bientôt, l’entièreté de la pièce fut plongée dans un grand silence, et si personne n’aida la pauvre Myrcella à se relever, celle-ci y parvint aussi noblement qu’elle le pouvait. Malgré la situation, elle conservait une sorte d’impassibilité hautement maîtrisée, ainsi qu’une froideur dont elle avait le secret. Diable, si elle avait été en mesure de gifler cet abruti sans craindre de se faire très mal ou de frapper quelqu’un d’autre, sûrement s’en serait-elle donné à cœur joie. Mais en attendant, ôter ses lunettes et laisser dévoiler ses magnifiques yeux verts eau-de-mer incapables de se fixer sur un point précis était un remède plus efficace contre la bêtise, en général. « Je suis certaine que vous allez vous coucher ce soir tout gratifié d’avoir pu démontrer votre crétinisme affligeant. J’applaudirais volontiers, mais l’une de mes mains est déjà prise et il se trouve que malheureusement, j’ai les lèvres gercés. De toute évidence, le plus effrayant dans l’histoire, ce sont vos manières. »

Myrcella passa son chemin, bien évidemment, en cherchant par ses propres moyens une table isolée et vide. Elle n’avait aucune envie de côtoyer qui que ce soit dans la seconde : son cœur battait à tout rompre, bien qu’elle n’en laisse absolument rien paraître, quand à ses genoux blessés, ils étaient abominablement douloureux. La jolie aveugle n’avait jamais particulièrement apprécié d’être une bête de foire… mais elle pouvait au moins se consoler en se disant qu’elle avait venté le responsable de sa vertigineuse chute.

Victoria avait toujours eu la motivation d’enchaîner les petits boulots. Si depuis sa tendre adolescence elle avait su devenir indépendante et s'en sortir en comptant sur sa propre personne c'était parce qu'elle avait mit toutes les chances de son côté. Bien que son travail le plus preneur était chez Zadig&Voltaire, en tant que vendeuse, elle avait aussi l'emploi de serveuse dans un petit bar du centre ville. Ce n'était vraiment pas un trois étoiles, ni un prôneur de la gastronomie, mais elle arrondissait ses fins de mois et ses consommations du weekend grâce à ça. La clientèle n'était pas non plus de qualité, on y trouvait surtout les personnes en difficultés financières et la jeune fille prenait parfois un malin plaisir à inventer une vie à quelques consommateurs. Surtout ceux qui noyaient leur solitude dans un cheese-burger de basse échelle.
Alors qu'elle attendait en cuisine, tapant du pied, que le cuisinier le plus médiocre de toute la ville finisse une commande, du raffut se fit entendre depuis la salle principale. Quelques voix qui s'élevaient plus que d'autre, couvertes par un silence général. Victoria laissa tomber son collègue dans un soupir et se rua vers l'autre côté de l'établissement. Elle surprit une jeune femme, étalée sur le sol, une canne l'empêchent presque de se relever et quelques ricanements malsains en bruit de fond. En quelques secondes son regard vacilla dans toute la pièce et reconstitua la scène. Sans un bruit, la jeune femme à la chevelure blanche se releva et avec dignité, eu le culot de renvoyer le plus gros goujat de la terre au fin fond de sa connerie et elle s'en alla dans un coin de la pièce. Légèrement déstabilisée, Vicky prit conscience de la situation et eu une soudaine honte de ne même pas avoir bougé dans le but d'aider la pauvre fille. Elle qui était une fille généreuse, elle qui avait toujours été là pour n'importe qu'elle autre personne. Pas question qu'ils s'en sortent comme ça. Bien que la base sonore du bar reprit de plus belle, elle ne s'empêcha pas de casser l'ambiance une nouvelle fois.

« Hé! Monsieur "acnéetbouledegraisse" tu m'accordes quelques secondes de ton temps précieux? » Victoria avait même donné une petite tape sur l'épaule du garçon qui était juste de l'autre côté du bar. En plus d'être l'idiot le plus incorrigible, ce spécimen était une personne répugnante. Il puait la graisse, les frites, et sa peau était tout aussi luisante que ses cheveux. La jeune fille avait envie de débecter sur lui. « Je veux bien comprendre que ta vie soit ennuyante au point de venir manger des hamburgers tout les midis dans le restaurant le plus pourri de tout New York. Je veux bien comprendre que ta médiocrité soit même capable de dégoûter ta propre personne, ce qui serait finalement, une réaction normale. Mais par contre, que tu sois obligé de faire du mal à autrui, pour te donner une quelconque importance me répugne. Tu es dégueulasse, et tu dégages de cet établissement avant que j'appelle le responsable.» Elle savait qu'une personne comme ça lui rigolerait au nez, faisant part de son haleine encore plus puante que le reste de son corps. Peut-importante, pas question de respirer le même air que cet être et que de ses amis. Il ne souriait plus, mais ne lui obéissait pas encore. Victoria était quelqu'un de sympa, mais on ne pouvait pas la qualifier de douce. Elle n'était pas délicate, ni très polie. « Maintenant tu te casses d'ici ou j'appelle la police! Pigé?! » La blonde avait presque hurlé, sa peau avait même rougie. Pourtant elle fut gagnée d'une certaine satisfaction quand la boule de graisse quitta l'établissement dans un claquement de porte immature. Sans dire un seul mot ni échangé un seul regard à un client elle se dirigea vers une table, celle de la précédente victime. Bien qu'elle soit déjà stupéfaite par ses yeux vides et clairs qui ne pouvait pas la regarder, elle le fut encore plus par la beauté de cette rencontre. Victoria avait devant elle une fille qui respirait la pureté, que ce soit ses cheveux de teinture blanche mais aussi ses traits doux et sa peau claire. « Je, je suis désolée pour ce qui est arrivé. Je ne peux pas vous laisser partir mais je peux quand même vous offrir tout ce que vous commanderez. » Elle avait presque chuchoté, essayant de s'adapter à ses interlocuteurs. Bon dieu mais cette nana respirait le calme et la sérénité, c'était dingue.

Bien qu’elle n’ait pas sursauté, Myrcella dû admettre avoir été surprise par la portée de la voix de la serveuse du petit restaurant dans lequel elles se trouvaient. Qui aurait cru qu’une demoiselle puisse avoir autant de coffre ? Et de caractère, il va sans dire ! La jeune femme accordait une attention toute particulière, lui vouant toute son écoute tandis que ses deux genoux la lançaient dans une douleur particulièrement vive. Elle ne s’attendait pas pour autant à l’entendre se rapprocher ni même à obtenir la moindre attention de sa part : pour une raison lui échappant totalement, cette serveuse était venue s’excuser et lui offrir ni plus ni moins son déjeuner. Une légère expression de surprise se dessina bientôt contre ses traits, mais bien qu’elle sache approximativement où elle se trouvait dans l’atmosphère de cette salle, elle fut bien incapable de la regarder dans les yeux. L’enfer de sa cécité… « Pourquoi diable vous excusez ? Rien de tout ceci n’était de votre fait. » La façon même de s’exprimer de Myrcella semblait venir d’un autre âge. Cela faisait tout son charme, certes, et bien qu’elle ne soit pas habituée à user de longues phrases pour embrumer les esprits, elle finissait toujours par perdre son auditoire en chemin. Il faut dire que son cheminement de pensée échappait bien souvent aux gens… tel était son pouvoir face à la bêtise et à la crainte ressentie vis-à-vis de son handicap. Souvent, on la redoutait parce qu’elle était incapable de regarder quelqu’un droit dans les yeux, ou même de faire passer la plus petite émotion par ses impressionnants yeux clairs. Il s’agissait d’une fatalité à laquelle elle avait tenté de remédier, mais en vain. A la place, sa langue était devenue aussi aiguisée que le sabre d’un samouraï, et son ouïe aussi fine que celle d’un félin. Il fallait bien palier à ses défaillances par quelques artifices très bien trouvés. Surtout pour lutter contre la bêtise, grande maladie de ce siècle et des siècles passés. « C’est très louable de votre part. Mais inutile de malmener votre pauvre cœur, asseyez-vous donc et buvez quelques gorgées d’eau, sans quoi votre tête risque de vous jouer un très mauvais tour. » Myrcella avait ôté la main qui massait précédemment son genou le plus douloureux, et bien que celle-ci soit légèrement couverte de son sang, elle n’hésita pas à pointer la place en face de la sienne à la serveuse dont elle ignorait le nom avant de lui tendre un verre d’eau qu’elle lui servit sans l’ombre d’une difficulté… et sans verser une goutte à côté. Dextérité plutôt impressionnante, qu’elle avait malheureusement dû apprendre dans l’empressement et la douleur les plus totales.

« Vous ne devriez pas vous ronger les sangs pour des gens d’aussi petite condition intellectuelle. » Sous entendu : c’est à vous que vous faites du mal tandis qu’eux ne ressentiront jamais la moindre pitié. Mais Myrcella se garda bien d’aller jusque là. A la place, elle conserva une impassibilité parfaite, dont elle avait le secret et qui l’aidait à être meilleur analyste de la situation actuelle. A ses yeux, la réaction de cette parfaite inconnue était diablement étrange : mais à la décharge de cette mystérieuse demoiselle aux cheveux d’un blanc si pur, on ne lui avait jamais tenu la main auparavant. « Pourrais-je avoir l’honneur de savoir pourquoi vous vous préoccupez tant de ce qui s’est passé ? » Non pas qu’elle doute de la gentillesse de son interlocutrice, mais la méfiance était un passage obligé lorsque l’on rencontrait Myrcella. Sa confiance n’était que difficilement donnée… hélas.

Il y avait quelque chose de fascinant chez cette fille, ou femme. Victoria était dans le doute, ses traits montraient clairement qu'elle était une personne de jeune âge, pourtant dès qu'elle prononçait quelques mots, la sagesse émanait de sa personne. Quelle étrange et déstabilisante présence. Et sans rechigner elle attrapa le verre qu'on lui tendait, et en bu allègrement quelques gorgées. Si Vic' n'avait pas eu un contact avec les yeux vides et perdus de cette jeune femme, elle n'aurait sûrement jamais deviné son handicap. Elle se tenait correctement, son bras ou même ses doigts n'avaient pas tremblés lorsqu'elle avait tendu le verre à la petite serveuse. C'était imperceptible, bien que sa canne soit proéminente.
« Vous savez, cette réaction n'est pas uniquement pour vous. C'est surtout que ces personnes ont le don de me mettre hors de moi, je ne peux pas supporter respirer le même air qu'eux. Et puis, c'est d'un ridicule, ça me sidère. » La jeune blonde aurait pu continuer ainsi durant plusieurs minutes, mais pas la peine d'épiloguer. L'intelligence émanant de son interlocutrice approuvait déjà le fait qu'il ne fallait pas plus d'explications : elle comprenait, du moins, elle entendait. Dans un mouvement de détresse, Victoria prit place aux côtés d'elle, sans vraiment faire preuve d'une politesse innée, puisqu'elle était une stricte inconnue.

« Je suis désolée si je vous ai choquée par ses propos. Et m'asseoir à cette table n'est sûrement pas ce qu'une employée digne de ce nom ferait, mais je vais sûrement être renvoyée, peu m'importe. » C'était vrai, Vicky avait à faire à un patron des plus idiots. Un gros gras de culture américaine typique que la jeune fille n'avait que faire. Chacune de ses paroles étaient semblables à des inutilités, et vraiment personne ne prenait le temps d'écouter ce qu'il pouvait dire. Pourtant, paniquant pour un rien et ne sachant absolument pas comment réagir face à des situations qui ne prenait pas place dans son livre du "meilleur patron", le vieil homme paniquait. Il ne trouvait que des solutions par la colère et les hurluments, et Victoria avait déjà goûté aux nombreux postillons qui émanaient de sa cavité buccale. Finalement, une fois qu'il aurait eu bruit de cette évènement, c'était certain qu'elle serait renvoyée chez elle, sans un "merci". En plus d'être totalement incompétent, il n'avait aucune notion de morale ou d'éthique, et n'aurait jamais agit comme l'anglais l'avait fait face à une agression de la sorte.
« Dites moi si vous voulez manger quelque chose de particulier, je me ferais un plaisir de vous traduire la carte, ou si vous souhaitez une simple boisson? »
Il y avait une certaine gène dans sa voix, elle voulait être impeccable, montrer encore que "générosité" et "amabilité" étaient les mots d'ordre qui définissait cette blonde à la grande bouche. De plus, curieuse, elle se sentait totalement intriguée par cette présence inhabituelle. Victoria aurait voulu poser des millions de questions indiscrètes, "vous êtes née comme ça?" "quel est votre nom?" "et quel chevelure". C'est vrai que la dernière proposition n'est absolument pas interrogative, mais cette pensée lui traversait la tête depuis plusieurs minutes. La superficialité légendaire de cette british, again. C'était même dur de ne pas continuer de parler face à cette blancheur éclatante, le silence n'avait pas sa place. Du moins pas encore.

« Choquée ? Ai-je eu l’air choquée ? » Myrcella, à défaut d’avoir pu voir des choses choquantes dans le courant de sa vie, les avaient néanmoins côtoyées à longueur de temps. Une mère traînant sa misère, l’impression de ne pas être née dans le bon monde, le fait de se réfugier dans son imagination la plus extraordinaire à défaut de voir quelque attrait que ce soit dans sa propre existence… les choses étranges faisaient partie de son quotidien, et faire face au petit accès de colère de cette serveuse inconnue n’en n’était pas une, bien au contraire. Cela bousculait ce qui était, somme toute, devenue une sorte de rituel, de routine. Myrcella savait bien que les questions devaient se bousculer dans l’esprit de celle dont elle ne pouvait même pas imaginer les traits de porcelaine, ou la blondeur de ses cheveux. Elle se contentait d’essayer de capter son regard, sans nécessairement y parvenir, tout en gardant le calme d’un ruisseau lors d’un pâle matin d’automne. Il aurait été difficile d’énerver quelqu’un qui semblait avoir vu tant de choses au travers de ces immenses yeux vides… mais il n’était pas difficile d’imaginer à quel point la peur et la douleur s’étaient emparée d’elle au moment même où ses membres avaient heurté le sol. Myrcella s’était sentie comme dépossédée de toute sa force habituelle, de toute volonté, jusqu’à ce qu’elle ne trouve le courage de se relever pour remettre ce plaisantin à sa place. Pour un peu, elle aurait presque aimé l’insulter à grands coups de créole seychellois… mais aussi vrai que son calme était sa plus grande force, sa politesse exacerbée ne l’était pas moins. « Je peux glisser un mot à votre patron, si la nécessité s’en fait sentir. Vous savez, les grands mots font peur à la gent masculine… d’ici à ce qu’ils n’en comprennent pas la moitié, il n’y a qu’un pas. » Myrcella n’oubliait pas que Victoria l’avait aidée, d’une certaine manière, et bien que cet accès de gentillesse lui ait été étranger de prime abord. Il lui paraissait normal de lui rendre la pareille de la manière qui lui paraîtrait la plus logique. Il s’agissait d’une dette qu’elle ne serait en mesure de payer qu’aujourd’hui… car il n’était pas dit que ces deux jeunes femmes puissent un jour croiser leurs chemins respectifs à nouveau. A moins que le hasard ne mêlent les cartes et ne les laissent jouer une fois encore… « Vous ne devriez pas négliger votre emploi en ces temps disons… funestes. Quant à ce dont je souhaite me sustenter, laissez-moi faire. » Il n’y avait aucune prétention dans sa dernière phrase. Mais quoi qu’en pense la serveuse, Myrcella était déjà venue et connaissait donc les moindres astuces de ce restaurant sans prestige.

Un très léger sourire malicieux prit bientôt place sur ses traits délicats de poupée aux cheveux d’argent alors qu’elle avait pris la carte en main et laissait désormais glisser ses doigts fins sur les inscriptions du menu. Personne n’avait dû le remarquer auparavant, mais celles-ci étaient très légèrement en relief. Du moins suffisamment pour quelqu’un maîtrisant le braille sur le bout des doigts de pouvoir déchiffrer les moindres indications présentes sur la carte. Et Myrcella s’adonna à ce petit jeu quelques minutes durant, dans le silence le plus complet, avant que son envie ne s’enflamme face à une appellation en particulier. « Pour moi, ce sera un hamburger savoyard et puisque nous sommes aux États-Unis, je pense qu’un Coca-Cola est tout indiqué pour accompagner. » Tel qu’elle décrivait cette commande, on aurait presque pu croire qu’elle avait travaillé dans un grand restaurant par le passé, ou à tout le moins qu’elle avait déjà eu la chance d’être sommelière. Il y avait une prestance, un charisme évident dans chacun de ses termes, y compris lorsqu’elle refermait la carte du menu et la reposait presque nonchalamment contre la table. Comme si tout ceci devait être théâtral au possible… « Une employée digne de ce nom replace l’ordre au sein de son restaurant. Je trouve que ce descriptif vous sied, en revanche. Puis-je me permettre cependant de vous demander votre nom ? » La politesse, toujours. Myrcella était quelqu’un n’ayant aucune richesse… si ce n’est celle de la langue et de l’âme.

Il était vrai que les habits de Victoria n'étaient pas confortables, un tissu des plus basiques qui contrastait totalement avec le genre de vêtement que la jeune blonde avait l'habitude de porter. Ses robes étaient reléguées au placard, quand elle travaillait dans ce restaurant médiocre. Et elle avait une certaine satisfaction malsaine de savoir que la seule personne avec qui elle aurait eu une conversation intéressante durant cette journée ne pouvait voir son physique qu'elle pensait miteux. Néanmoins, la jeune fille ne pouvait s'empêche de se dandiner de façon agacée sur sa chaise, puisque la matière de son pantalon grossier irritait sa peau. Quelle midinette, celle là, c'est ce que pensait souvent les autres d'elle.
« Je ne sais pas si ce serait... Préférable. » C'était presque comme si Victoria avait une peur d'être confrontée à cet horrible bonhomme, elle semblait réticente à la pourtant, très aimable aide proposée par cette rencontre. « Bien que le problème de retrouver un travail dans un endroit plus ou moins meilleur que celui là ne présente pas le moindre inconvénient. » Victoria se surprenait à essayer de parler de façon soutenue, ou du moins plus soutenue qu'elle ne l'aurait fait habituellement. Ce contact diffusant une constante culture de vie et niveau de langue l'obligeait à s'adapter et à montrer qu'elle aussi, elle n'était pas qu'une stupide serveuse de restaurant bas niveau. Serveuse qui avait simplement assez de répartie pour remettre en place le premier être stupide se mettant en travers de son chemin. Ce qui laissa la jeune fille dans une admiration presque ridicule, c'était le fait que cette inconnue ai prit la carte, comme si de rien était, puis lui ai dictée sa commande avant de se reposer le menu naturellement. Victoria était naïve, et avait une fascination immature pour ce qui changeait de l'habitude. Cette femme avait apprit des manières, des façons de faire qui n'était pas discutables en société. Ça semblait d'une difficulté insurmontable pour la jeune anglaise.
«Heu... Hm, oui! Un hamburger savoyard et un coca-cola, pas de soucis. » Elle se réveillait presque de sa pensée évasive. Puis elle se levait brusquement, pour reprendre le pas et assurer sa peut-être dernière journée de travail.
« Je m'appelle Victoria, enchantée! » Elle avait même sortit son accent le plus british possible pour souligner ses origines, et elle tendit la main machinalement en guise de politesse, sans vraiment prendre en compte le fait qu'elle ne pourrait peut-être pas être capable de réponse à son geste. « Vous-êtes? » Bien sûr il n'y avait aucun doute à ce que son interlocutrice réponde bien évidemment à sa poignée de main, mais aussi la voix hurlante du fond de cuisine lui sembla étrangement familière. C'était le cuisinier, qui semblait être plus énervé qu'elle ne l'avait été face aux goujats de tout à l'heure. « Veuillez m'excusez deux secondes! » C'était une scène assez comique, car même les clients les moins proches des coulisses du restaurant étaient capables d'entendre deux voix se battre et s'arracher des arguments. Finalement, au bout d'une dizaine minute, Victoria fit une nouvelle apparition, tenant sur ses lèvres un sourire forcé. Elle déposa sur la table de sa rapide connaissance une assiette, ornée d'un hamburger comme elle l'avait désirée, et un coca frais.

« Voilà pour vous, je suis désolée d'être partie si promptement, je suis tout de même au travail. Mais, je ne vous dérange pas plus longtemps. » Et l'empressement de la jeune blonde n'avait même pas laissé le temps à la douce cliente de lui omettre son prénom.

Face à la sorte de hurlement s’échappant de la cuisine, Myrcella fut la première à sursauter. Décidément, s’il avait souhaité être agréable, sans doute fallait-il mieux qu’il repasse. Contrairement à ce qu’elle pensait de prime abord, la jolie seychelloise fut presque déçue d’entendre cette fameuse Victoria s’éloigner, toute persuadée qu’elle était qu’elle finirait par retourner à son service, tout simplement. Il était normal de la laisser partir, après tout, qui diable était Myrcella pour l’empêcher de travailler ? Alors qu’elle lui avait avoué que le fait d’abandonner un travail n’était pas un choix avisé ! Et sans doute fut-ce cette déception qui l’empêcha de lui donner son prénom. La demoiselle aux cheveux d’argent se contenta de la laisser partir d’un simplement hochement de tête entendu, sans autre forme de procès. Peut-être son estomac bramait-il trop la faim pour qu’elle n’ait davantage envie de tailler le bout de gras. Le silence s’empara à nouveau de son atmosphère personnelle, et bientôt, elle entendit à nouveau des hurlements de la part du cuisinier, sans forcément savoir si ceux-ci étaient dirigés vers la pauvre serveuse ou vers quelqu’un d’autre. Sans savoir pourquoi, Myrcella s’était levée dans un calme la caractérisait tout à fait, se dirigeant lentement mais sûrement vers les cuisines alors qu’elle n’y avait nullement été invitée de prime abord. « Je vous suggère de baisser dans vos décibels sans quoi je me verrais contrainte de faire savoir que vous laissez vos serveurs et en l’occurrence votre serveuse se débrouiller pour rétablir l’ordre dans VOTRE établissement. Vous allez donc lui accorder une longue pause, tellement longue que c’en est indécent. Me suis-je bien fait comprendre ? » Le pire ? C’est qu’elle réussissait à faire peur. Il n’était jamais arrivé à Myrcella de « jouer » de son handicap auparavant. Elle allait probablement s’en vouloir pendant un très long instant, mais en attendant, si le cuistot grommelait dans sa barbe, il ne hurlait plus. Ses tympans étaient donc saufs et Victoria allait pouvoir goûter à une longue pause.

« Je pense que votre patron sera plus magnanime à l’avenir, si toutefois il est envisageable d’utiliser un tel terme le concernant. » Myrcella avait délaissé son hamburger et but une seule gorgée de son Coca avant de se pointer dans les cuisines, mais armée de sa canne d’aveugle, elle allait certainement réussir à retrouver sa place. Même si, dans la seconde, il était plus d’usage pour elle de se présenter… elle n’avait plus d’excuses désormais. « Je m’appelle Myrcella » énonça-t-elle avant de lui présenter sa main, espérant que Victoria allait la serrer à son tour. Cette rencontre sortait pour une fois de l’ordinaire, et elle n’avait pas honte d’avouer que son engouement était tout à fait exceptionnel. Après tout, frappée de sa cécité, Myrcella aurait très bien pu le regretter amèrement. « Dans tous les cas, profitez de votre pause, vous l’avez largement mérité, croyez-moi. » Si elle avait osé, peut-être aurait-elle demandé un pansement et du désinfectant afin d’éviter d’éventuelles complications au sujet de ses genoux… mais elle n’osa pas.

Victoria restait comme bouchebée en regardant cette sombre inconnue remettre un des plus gros idiots de cette planète. Cette force tranquille avait le pouvoir de clouer le bec à un machiste n'ayant aucune jugeote et éthique concernant son rapport aux femmes et aux employer. En quelques mots elle lui avait fait comprendre plus qu'il n'en avait jamais compris en dix ans. Presque gênée, l'anglaise se mordait la lèvre la main ramenée à son visage, peut-être avait elle peut d'une certaine réaction négative de la part de son odieux chef. mais il n'en fit pas, et comme un chien la queue entre les deux jambes, il ravala sa fierté et se remit à son poste. Jetant quelques derniers coups d'oeil perdus au tour d'elle, Vicky décida finalement de suivre son ange gardien jusqu'à sa table. Elle attrapa énergiquement sa main lorsqu'elle se présenta et la secouait de façon gratifiante. Myrcella donc? Quel joli nom pour une si jolie personne. La jeune blonde avait l'habitude de donner des petits diminutifs aux personnes qui l'entouraient, diminutifs qu'elle gardait secrets et entièrement personnels. Il définissaient simplement ce qu'elle pouvait penser d'une personne, ou d'une autre. Si son patron était sans aucun doute "dudley" elle décida le laisser le mérite à la branche colombe de se prêter à l’appellation "ange". Pas de quoi faire chavirer les foules, j'entends.

« Je ne sais même pas quoi dire pour vous remercier. Vous avez réalisé un exploit, sérieusement. » Elle aquesciait comme pour insister sur le mot "exploit". Quoi qu'il en soit, pas question de revenir travailler dans cet établissement. Dès demain elle trouverait un autre petit boulot pour arrondir ses fins de mois. Et si elle n'en trouvait pas immédiatement, pas d’inquiétude, son poste de vendeuse chez Zadig&Voltaire était intacte et plaisant.
« Si vous souhaitez encore mangez cette chose infecte alors il en va de votre envie, mais sinon je peux vous proposez un bon brunch chez Tiffany's. Histoire de quitter cette endroit maudit, et de manger quelque chose de comestible! » Victoria était perplexe, jamais elle n'avait parler comme ça. Son langage était à ce point modulable en fonction de l’interlocuteur à qui elle faisait face? Eh bien, elle pouvait le voir comme un certain atout. Mais ici la question n'était pas encore de plaire à quelqu'un de par ses paroles et son comportement, c'était surtout de déguerpir de l'établissement. Puis de faire connaissance avec cette ange tout droit tombé du ciel, comme si la chute avait été si violente qu'elle an aurait perdu la vue.

« Exploit ? N’exagérons pas, il ne s’agit que d’un homme au quotient limité, voilà tout. » Selon le point de vue de Myrcella, rien n’est impossible pour peu que l’on sache prendre les gens. La preuve, le cuistot le plus beuglard de tout l’est des États-Unis venait juste d’être réduit au silence par une simple réplique. Il n’y avait pas de quoi pousser mémé dans de la lave en fusion, bien au contraire, mais cela permettait à la serveuse ayant précédemment défendu ses intérêts de profiter d’une très longue pause. La jolie demoiselle aux cheveux d’argent fut la première surprise de la proposition que lui fit Victoria, après avoir serré on ne peut plus énergiquement sa main aux doigts fins et fragiles. Elle voyait en cette énergie une agréable manière de se cacher. Sans doute faisait-elle fausse route, après tout, elle n’avait aucun moyen de sonder son regard, véritable miroir de l’âme. Il lui faudrait appréhender cette curieuse jeune femme d’une toute autre manière, et la donne n’allait pas être évidente. Bien qu’elle fut la première à poser un pied hors du restaurant miteux où elles se trouvaient toutes deux précédemment : aveugle ne voulait pas dire qu’elle n’était pas débrouillarde, bien au contraire. Disons que Myrcella l’était devenue par la force des choses, de même qu’aussi calme qu’un ruisseau lors d’un matin de printemps. Sans savoir vraiment pourquoi, elle sentait que Victoria allait lui emboiter le pas, voire même lui donner des indications sur l’emplacement exact de ce fameux emplacement dont elle avait précédemment parlé. La scénariste qu’elle était l’imaginait déjà prendre des gants considérables pour ne pas la gêner vis-à-vis de sa cécité, ou même pour s’empêcher elle-même de se mettre à la couver comme une véritable mère. Myrcella était habituée à la pitié d’autrui, bien que ce soit un sentiment hautement détestable à ses yeux. Il ne fallait pas lui demander d’apprécier une émotion la diminuant plus encore que sa cécité elle-même. « Alors dites-moi, qu’est-ce qui vous enthousiasme tant chez « Tiffany » et qui vous paraît plus comestible que les plats proposés par votre futur ex-employeur ? Je ne pense pas me tromper en disant que vous n’avez aucune intention d’y retourner, je suppose. Il en va d’une certaine logique. » Victoria n’avait pas l’air d’être la race de ceux qui se laissent marcher sur les pieds. Et elle avait raison.

« Vous n’êtes pas obligée de prendre tant de gants avec moi. Vous pouvez être naturelle, je ne suis pas de ces petits êtres fragiles que l’on choque aisément. » Myrcella n’aimait pas les gens faux ou maniérés. Sans aller jusqu’à dire que sa nouvelle acolyte était du genre à dissimuler son véritable caractère, il ne fallait pas qu’elle hésite à le laisser parler justement. Après tout, le fait d’être aveugle ne rendait pas Myrcella idiote, bien au contraire… elle se trouvait être extrêmement fine d’esprit justement.

Victoria était satisfaite de voir sa nouvelle connaissance ne rechignait pas à l'accompager. D'un côté, elle était une fille qui adorait faire de nouvelles rencontres. Elle appréciait grandement le fait de pouvoir partager ses pensées avec d'autres opinions, parfois contradictoires. Le mélange de culture, elle aimait ça. Elle avait même déjà considéré à faire de l'humanitaire, à partir dans un pays lointain en Afrique ou en Europe et y passer plusieurs mois voir une année. Ça faisait partie d'elle, cette envie d'aller toujours de l'avant et de ne jamais s'arrêter. Toujours débrouillarde, si elle ne faisait rien elle avait l'impression d'imploser.
« Tiffany's c'est un restaurant assez réputé dans le quartier. Les personnes y viennent pour faire des brunch souvent. Et je vous avouerais que la plupart des clients sont des couples, mais quand j'ai envie de manger un bout je n'hésite pas à m'y rendre. Même seule, peu importe. » Encore un trait de caractère propre à la jeune anglaise. La plupart des personnes formant cette société s'inquiétait d'être accompagnée. Se rendre dans un établissement avec sa solitude était quelque chose d'atroce pour quelqu'un de formaté. Et comme l'avait aussi remarqué chez Myrcella, ce genre de complexe ne les atteignait pas le moins du monde. La blonde voyait même la solitude comme quelque chose de bon parfois, bien qu'elle le soit rarement.
Victoria l'avait suivit tout en lui parlant et avait essayé de paraître le plus naturel possible face à sa canne qui allait et venait sur le béton New Yorkais. Mais il était bien difficile pour elle de ne pas indiquer la route à voix haute et de préciser si il fallait tourner "à gauche" ou "à droite". Bien sûr elle se doutait bien que la jeune femme l'accompagnant était sûrement plus débrouillarde qu'elle même. Elle en avait eu la preuve. Cependant Vicky n'y pouvait rien, sa nature protectrice était toujours au dessus de ses pulsions. Heureusement pour elle, Tiffany's était de l'autre côté de la route. « Ce n'est pas par peur de vous choquer je pense, mais plutôt par politesse. Comme employer le pronom "vous" par exemple, mais j'ai entendu votre remarque. » Elle la guida une fois de plus jusqu'à l'établissement. L’accueil était comme d'habitude chaleureux, les clients n'attendaient pas et étaient installés tout de suite. Une carte fut distribuée et c'était comme si le serveur n'avait pas remarqué l'handicap de Myrcella. « Si vous voulez manger un vrai hamburger vous pouvez y allez, ils font les meilleurs que je n'ai jamais goûté. » Elle dénuda la carte de ses yeux et fit son choix en un temps record. Le plus dur était de ne pas essayer d'aider sa compagnie en lui dictant quelques menus présents, quelques plats...
« Et puisqu'on est ici pour un petit moment on va briser la glace! Dites moi, qu'est ce qui vous amène à New York? Vous habitez ici? » Simple question qui avait un brin d'analyse derrière, si elle s'était rendue dans le précédent restaurant c'était sûrement car elle ne connaissait pas bien le quartier. Personne ne voudrait aller dans ce taudis quand on y connait la carte.

Manger seule n’avait jamais été un problème pour Myrcella bien au contraire. Il faut dire que depuis que sa cécité l’avait frappée jeune, elle était dans un monde comme parallèle, dans lequel elle se sentait diablement solitaire. Il était vital pour elle que ce sentiment ne soit pas un supplice… du coup, elle l’agrémentait de la façon la plus agréable possible : en l’occurrence, manger dans un restaurant lui permettait de ne plus se sentir aussi seule qu’elle ne l’était d’ordinaire. Les serveurs ne faisaient pas toujours attention à son handicap, chose qui l’arrangeait somme toute et l’empêchait d’être mal à l’aise, mais ce n’était pas toujours confortable lorsque les lettres présentes sur le menu n’étaient pas en relief… comme c’était le cas au Tiffany’s. Myrcella remua la chose cent fois dans sa tête avant même que de chercher à demander de l’aide. Il n’était pas question de demander à Victoria, même si celle-ci l’aurait probablement fait volontiers, aussi fit-elle plutôt signe au serveur, un long instant, jusqu’à ce qu’elle ne soit assurée d’avoir été vue. Une fois qu’elle eut toute son attention, son génie des mots opéra à nouveau : « Voyez-vous, c’est la première fois que j’ai l’audace de laisser mes pas me porter en ces murs, et je n’ai absolument pas eu vent des spécialités que vous offrez. Auriez-vous l’extrême obligeance de bien vouloir m’éclairer ? » Au préalable, Myrcella avait replié sa canne d’aveugle et l’avait soigneusement placée sous l’un de ses pieds, d’une façon suffisamment discrète pour que personne ne la remarque et que sa question reste tout ce qu’il y a de plus légitime. Après tout, à force, elle avait réussi à jouer là-dessus, à en faire une force et même palier à cette différence par son toucher ou son ouïe. Parfois, elle était même plus débrouillarde que la plupart des voyants, littéralement emprisonnés par ce que les yeux savaient leur dire et uniquement cela. « Tous mes remerciements pour ses précisions… claires et concises ! Je vais prendre une ou deux minutes pour en faire le tri et vous pourrez venir prendre commande. » Myrcella joua son rôle jusqu’au bout en faisant mine de réfléchir à chaque mot du serveur, ne fixant ainsi jamais son regard de façon précise jusqu’à ce que le serveur n’émette un sourire et ne s’éloigne, fidèle aux « instructions » de la cliente qu’elle était.

« Je suis à New York depuis… au moins une bonne semaine » se permit-elle d’énoncer, sans l’ombre d’une plaisanterie, et après avoir réfléchi quelques secondes. Une semaine qu’elle était hébergée par cet étonnant Diego et qu’elle peinait à se repérer dans les rues interminables de la grande pomme. Mais elle ne désespérait pas d’en comprendre un jour les moindres recoins et de devenir ainsi une parfaite new-yorkaise se respectant. « Quant à ma raison… je souhaite parvenir à faire publier les scenarii que j’écris. Puis-je me permettre de vous retourner vos deux questions ? » Myrcella n’était pas une personne excessivement curieuse. Jamais elle n’aurait pris l’initiative de questionner Victoria si elle ne s’en était pas chargée. Mais après tout, rien ne l’obligeait à lui donner la véritable raison de sa venue ici…

Il y avait presque un minuscule malaise lorsque la jeune femme devant elle prit en main le fait de se faire passer pour une parfaite voyante. Victoria aurait volontiers éclairer sa lanterne en lui dictant les plats que le restaurant proposait, et sans être vraiment très clairvoyante, elle se vexa intérieurement. Bien sûr elle ne le ferait pas paraître, bien élevée elle avait apprit à contrôler ses émotions et à garder les ressentiments qui ne pouvaient être dit. Du moins elle constata que Myrcella était bien plus débrouillarde qu'elle. Elle pouvait faire passer son handicap pour du vent quand elle le souhaita, et tout semble normal lorsqu'elle le fait. Victoria pensait qu'il devait être vraiment dur de vivre de la sorte, de supporter le regard des autres et les remarques incessantes. C'est vrai que s'il fallait se préoccuper des avis d'autrui, on en aurait pas fini... Néanmoins l'anglaise qui se clamait comme quelqu'un d'indépendant et d'indifférent aux remarques étrangères ne l'était pas tant que ça. Et elle s'en rendait compte au contacte de la belle aux cheveux argent.
« Heu... Je suis là depuis quelques années. Je fais des études de communication et travaille à côté, histoire de me faire de l'argent. » C'est vrai qu'elle fréquentait beaucoup de personnes plus vieilles qu'elle. Elle sentait plus à l'aise face à un contact mature, l'eau coulait sans obstacle et l'ennui n'était jamais au rendez-vous. Cependant, elle avait toujours peur de passer pour une jeunette naïve, sans projets et pourquoi pas sans avenir... Surtout que le cas présent y était encore plus favorable : Myrcella n'avait peut-être pas pu devinée son âge, et elle pouvait penser être en face d'une adulte.
Victoria tapota sur la table et fit signe au serveur de revenir.
« Je vais prendre le petit carpaccio de boeuf aux légumes, avec un verre d'eau pétillante, merci. » Le carpaccio... Une des meilleurs choses auxquelles elle n'avait jamais goûté! La jeune fille laissa sa compagnie prendre sa commande et attendit le départ du serveur (qui était plutôt agréable au regard) avant de renchérir.
« Donc vous écrivez des scénarios, puis-je vous demandez pour quel compte? Quel genre d'histoire? » C'était une drôle de coïncidence, sa belle mère (qu'elle n'aimait pas, certes) faisait aussi partie du cercle des scénaristes. Elle avait écrit pour plusieurs série par ci par là, et Victoria ne pouvait s'empêcher de lui rappeler que son travail n'était pas très glorieux : faire les scénarios des séries les plus médiocres destinées aux femmes aux foyer obèses, bref. Cette guerre était un problème qu'elle devrait régler en dehors de ce restaurant.
« J'aime pas trop l'écriture, les textes... J'ai toujours préféré les lire que les écrire! » Le serveur passa servir les boissons que les jeunes femmes avaient commandées. Victoria n'attendit pas deux secondes avant de se munir de son verre et de boire la moitié de son contenu.

Myrcella tâchait d’être aussi naturelle que possible dans un monde pressé, incontrôlable, et trop peu accessible aux personnes comme elle. Victoria ne pouvait pas avoir le même regard sur cet environnement spécial, ni même se prétendre en mesure de comprendre ce que signifiait d’être sans arrêt dans le noir. La lumière sur sa vie s’était éteinte depuis des années, et pourtant, la jolie demoiselle aux cheveux d’argent semblait rayonner de tous ses feux comme un rayon de soleil. Rien ne semblait ni l’atteindre, ni la ternir, et encore moins l’empêcher d’avancer comme elle l’avait décidé. Ce fut sans doute ce qui frappa le plus le serveur, qui jusqu’ici n’avait pas remarqué la cécité de sa cliente et qui sembla bien perturbé lorsque celle-ci l’eut atteint de plein fouet. Myrcella sentait sa question lui brûler les lèvres, et s’attendait à subir son manque incroyable de savoir vivre… mais elle se trompa, fort heureusement. Celui-ci se contenta de prendre les commandes et d’embarquer les menus avec lui, et ce bien qu’il ne soit aucunement conscient du fait que Myrcella ait parfaitement entendu le soupir qu’il poussa après ne s’être que légèrement éloigné des deux jeunes femmes. Pour entendre, il suffisait de savoir écouter… mais cette donnée fondamentale n’était hélas pas donnée à tout le monde. « Et quel métier vous attire exactement dans la communication ? » osa-t-elle demander, non pas pour rompre le silence s’étant installé entre elles mais plus par intérêt véritable. « Vous savez, en général il n’existe pas un type de scénario précis. Un scénariste n’est pas un écrivain, il ne se doit pas d’être prisonnier des désidératas de ses plus grands fans… il ne cherche pas davantage le succès du plus grand nombre mais d’un seul homme : le réalisateur. Son seul frein est son imagination. Il se doit d’être capable de disserter sur la vacuité de la vie d’un condamné comme de la fragilité d’un edelweiss encerclé par une étendue neigeuse à perte de vue… un scénariste s’attache à la réalité d’une passion amoureuse et n’en tire que le plus furieux, le plus passionnel, le plus attirant pour un spectateur. Et, enfin, il n’écrit pas que pour toucher un cœur… mais tous ceux qui se délecteront de son œuvre au travers du jeu des comédiens et de la mise en scène. » Myrcella était si passionnée par son propre métier que l’on aurait presque pu voir des pétales de rose peupler l’émotion de ses yeux. Elle aurait été capable d’écrire sur n’importe quel sujet, d’émouvoir même l’être le plus rasoir sur cette bonne terre et de passionner les plus grandes foules. Mais en l’occurrence, elle cherchait surtout à faire comprendre la finalité de son métier à une jeune d’une vingtaine d’années, s’étant manifestement fait une idée trop précise et trop courte d’une véritable passion. « Mais hélas, les portes sont bien souvent closes pour les scénaristes. Avez-vous une passion qui vous a déjà semblé trop irréaliste ? »