Ozalee & Lena

Être seule dans cet appartement n’avait pas tardé à l’agacer tout comme à éveiller des peurs paniques chaque nuit où des bruits étranges lui étaient parvenus jusqu’à ses oreilles. Déménager était sans doute une idée afin de prendre un appartement plus petit, mais elle savait qu’il en serait de même et que ce dont elle avait réellement besoin était de compagnie. Loin d’être une personne solitaire, la jeune femme avait grandi au sein d’une grande famille. Sans compter ses parents, ils étaient neuf enfants chez les Hanwell et autant dire que jusqu’à ses dix-neuf ans la jeune anglaise n’avait pas réellement pu s’habituer à une quelconque solitude ou au calme. Lorsqu’elle avait vécu à Los Angeles, le fait d’habiter au-dessus du bar de son employeur lui avait permis d’être rarement seule bien longtemps et ce n’était pas plus mal pour une jeune femme habituée à vivre en communauté. Cependant, depuis qu’elle avait mis les pieds à New York cinq mois plus tôt et qu’elle avait emménagé dans ce vaste appartement qui pourrait largement loger une bonne partie de sa famille, l’anglaise était seule, bien trop seule pour parvenir à le supporter.

Bien sûr elle était consciente d’avoir ses propres habitudes et que surtout ses horaires n’allaient pas être particulièrement agréables dans les semaines à venir, mais l’idée de trouver une colocataire s’était imposée à elle si simplement qu’elle n’avait pas tardé à sauter sur l’occasion. Toutefois, pour éviter d’attirer un peu trop l’attention des personnes qui voudraient profiter d’elle, c’était sous un tout autre nom que le sien qu’elle passa son annonce, de quoi lui assurer plus ou moins le fait que personne n’allait l’appeler dans l’espoir de vivre sous le même toit qu’une actrice. La visite s’enchaînèrent sans que Lena ne parvienne à trouver sa perle le rare. La plupart des personnes qui franchir le seuil de sa porte la reconnurent immédiatement – ce dont elle aurait dû se douter – et passaient le temps de la visite à lui poser tellement de questions sur sa carrière et sur comment devenir actrice qu’elle les aurait bien jeté par la fenêtre si ça n’avait pas été un risque de ternir son image. En réalité, plus les jours s’écoulaient et plus Lena commençait à perdre espoir. Sa proposition était probablement trop alléchante pour trouver une personne parfaitement saine d’esprit – enfin un minimum en tout cas – et il fallait dire que proposer de vivre dans un appartement comme le sien sans demander de loyer n’était pas courant.

La jeune femme savait ce qui la poussait à le faire en plus du fait d’avoir vraiment besoin de quelqu’un qui vive sous le même toit qu’elle. Elle avait grandi au sein d’une famille catholique et elle avait supporté les messes de tous les dimanches que Dieu faisait et pour cette raison si elle pouvait aider des personnes elle était toujours prête à le faire. Lena était bien assez payée pour s’occuper du loyer de son appartement, la seule chose qu’elle imposait pour que la personne ne se sente pas en vacances sous ce toit était de s’occuper des courses, c’était aussi simple que ça. Accoudée sur le plan de travail de la cuisine, le regard perdu dans le vague, la jeune anglaise ne cessait de penser à revoir les termes mis dans l’annonce pour la colocation. Elle n’avait pas spécialement envie de demander un loyer élevé alors qu’elle n’en voyait pas l’utilité mais peut-être que ce changement lui permettrait de trouver des gens sérieux ? Sortie de ses pensées par plusieurs coups donnés contre la porte de son appartement, Lena se redressa et prit le temps de s’étirer tout en se traînant en direction de l’entrée afin d’ouvrir à son invité. « C’est pour la visite de l’appartement, c’est ça ? » questionna-t-elle après avoir ouvert, un sourire polie étirant ses lèvres. Elle avait beau être blasée par toutes les visites qu’elle avait pu faire, ce n’était pas pour autant qu’elle en oubliait ses bonnes manières, d’autant plus que la jeune femme face à elle lui sembla être amicale et loin d’être aussi folle que les femmes qu’elles avaient déjà vu.

Son appartement était gigantesque et encore … l’anglaise trouvait le mot extrêmement faible pour qualifier son logement. Elle était folle, c’était la seule explication qui lui venait à l’esprit à chaque fois qu’elle mettait les pieds dans son appartement le soir, après une journée de tournage ou après s’être baladée dans les rues new-yorkaises. Elle l’avait trouvé charmant sur le coup puis une fois ses affaires dans ce qui servait de salon, l’anglaise n’avait pas eu d’autre choix que de se rendre compte que, finalement, une seule pièce suffisait largement pour elle toute seule. Jusqu’à présent elle avait vécu dans des logements bien plus petits. A Londres elle ne pouvait pas dire qu’ils étaient tous entassés les uns sur les autres étant donné les revenus de son père, mais leur maison de banlieue était tout de même plus petite que l’appartement dans lequel elle vivait depuis son arrivée à New York. Même à Los Angeles après avoir vécu dans le petit studio au-dessus du bar de Samuel, Lena s’était installée dans un appartement pas bien plus grand qui lui avait valu les reproches de son entourage tant ça pouvait être dangereux pour une actrice. C’était sans doute cette raison qui l’avait poussé à prendre un appartement situé au beau milieu du centre-ville de Manhattan dans un immeuble bien plus sûr que celui dans lequel elle avait pu vivre.

Inconsciemment, la jeune anglaise avait probablement voulu s’assurer d’être en sécurité pour ne pas avoir à vivre une seconde agression. Bref, elle s’efforçait de se trouver toutes les excuses du monde afin de se donner une bonne raison de continuer à vivre là. La vérité était qu’elle n’en pouvait déjà plus, à la fois de la grandeur des lieux que la solitude dans laquelle elle vivait depuis qu’elle était à New York. Lena aurait probablement pu s’installer chez l’une de ses sœurs en ville, mais elle n’avait que très peu envie d’avoir la sensation de retourner à l’époque où elle vivait à Londres malgré tout l’amour qu’elle pouvait leur porter. L’annonce lui semblait être une bonne idée et pourtant la jeune femme savait que ce qu’elle désirait réellement était de partir de Broadway et d’aller s’installer dans un appartement plus petit, loin du stress et de l’oppression de la vie new-yorkaise. Sortie de ses pensées par les coups qui furent donnés contre la porte de son appartement, Lena n’avait pas tardé à aller ouvrir, adressant un large sourire à la jeune femme après s’être adressée à elle. « Oui, c'est ça ! ». Opinant du chef, la blonde se décala sur le côté et laissa la jeune femme entrer dans l’appartement et referma rapidement derrière elle tout en restant près de la porte, ses bras croisés contre sa poitrine et tourner vers la demoiselle qui ne tarda pas à avoir un mouvement de recul en voyant l’appartement … ce qu’elle pouvait la comprendre !

« Oh, wow, c'est... C'est plutôt grand, j'avais pas compris ça dans l'annonce, je... ». Son attention toujours portée sur la jeune femme, Lena pouffa légèrement … oui elle était vraiment folle, elle en avait à présent la confirmation grâce à cette jeune femme tout aussi sensée que Lena avait pu l’être par le passé. « ... D'un coup d'œil, je pense savoir que je pourrais pas payer de loyer pour un endroit aussi grand, et aussi central dans New York... ». Un petit sourire resta peint sur les lèvres de la jeune anglaise qui fit quelques pas en avant pour cesser de rester près de la porte et rejoindre un peu plus la jeune femme visiblement gênée par les paroles qu’elle venait de prononcer. « Moui … c’est vrai que ce n’est pas un appartement mais un palais. » dit-elle en levant les yeux au ciel, toujours aussi exaspérée par sa propre folie. « Ceci dit je pensais justement au fait que je ferais peut-être mieux de déménager … je me sens pas bien ici et étant donné que je chercherais toujours une colocataire peut-être que … ça pourrais toujours intéresser ? ». Elle l’aimait bien. Elles ne se connaissaient pas le moins du monde, mais cette demoiselle ne faisait pas partie des folles qu’elle avait pu rencontrer jusque-là et Lena devait bien avouer qu’elle trouvait en elle une présence rassurante qui éveillait sa curiosité. « Lena Hanwell … juste pour les formalités. » ajouta-t-elle en tendant sa main vers la jeune femme.

Cette situation avait quelque chose d’ironique. De personne cherchant une colocataire pour combler cet appartement bien trop immense pour elle – et même pour deux personnes – elle se retrouvait à finalement chercher un tout autre lieu d’habitation en s’efforçant de savoir si cette idée intéressait la jeune femme face à elle. L’anglaise savait que c’était ce qu’elle aurait dû faire dès le départ mais bien trop préoccupée par sa vie assez mouvementée à cause de son travail elle ne s’était pas focalisée bien longtemps sur cette idée qui finalement lui était sortie de la tête. Jamais elle n’aurait dû faire une telle folie et pourtant elle ne parvenait pas à regretter totalement son choix. Cet appartement était magnifique, bien sûr il ne valait pas ceux du dernier étage qui avaient la chance d’avoir une terrasse, mais elle ne pouvait pas se plaindre. C’était loin de tous les logements dans lesquels elle avait pu habiter jusqu’alors. Lena était habituée à plus petit et même si elle aimait tout de même son appartement actuel, elle devait tout de même avouer qu’un espace plus restreint lui manquait aussi étrange que cela puisse être.

Bien qu’actrice et ayant un revenu supérieur à ce que bien des personnes pouvaient toucher, ce n’était pas pour autant que ses valeurs avaient changé et pourtant elle sentait que son appartement donnait une toute autre image que celle-ci et ce n’était pas ce dont elle avait envie. Lena voulait rester naturelle même si le monde du cinéma n’était pas facile. L’anglaise ne voulait pas changer ou qu’on la chance et tant pis si ça devait lui fermer des portes ou lui faire manquer des rôles qui auraient pu la propulser au sommet de la gloire. Son manager s’était arraché les cheveux plus d’une fois avec elle – d’ailleurs elle était surprise qu’il ne soit pas devenu chauve – mais elle s’en moquait et continuait de faire à l’instinct. « Oh, mais c'est un beau palais, hein ! ». Un sourire apparu sur ses lèvres. Lena regarda une nouvelle fois autour d’elle, bras toujours croisés contre sa poitrine et reporta son attention sur la jeune femme sans pour autant ajouter quoi que ce soit. Oui, l’endroit était parfait et avec une vue magnifique mais au fond d’elle la demoiselle avait toujours su que ce n’était pas ce qui lui fallait. De nouveau poussée par son instinct qui ne l’avait jamais trahi, Lena ne put s’empêcher de proposer à la jeune femme une quelconque colocation ailleurs. Elle ignorait comment l’expliquer cependant elle continuait d’éprouver une certaine confiance en la jeune femme face à elle sans même la connaitre.

« Oh, je me disais bien que votre visage m'était familier ! Ozalee Takeda, mais vous pouvez m'appeler Oz. ». Voilà qui était moins étrange même si elle n’aurait pas été surprise de faire la rencontre de quelqu’un qui n’avait pas la moindre idée de qui elle était, après tout chaque personne sur cette planète n’avait pas forcément la télévision. « Très joli prénom. ». Lena n’avait pas la moindre idée de son origine, mais elle tenait tout de même à le lui dire par sincérité, politesse et peut-être aussi pour continuer de rester sur la voie de la bonne entente entre elles. « Vous savez, pour ma part, je vis dans un appartement à Pelham Bay, dans le Bronx. Ça ne vaut sûrement pas ce "palais", mais le départ de deux de nos colocataires a rendu le loyer trop important pour moi, peut-être que... Enfin, ça inverse un peu nos rôles, mais si vous pensez à déménager... Je serais ravie de vous faire visiter l'appartement. ». Fronçant son nez tandis qu’elle l’écoutait – manie dont elle n’arrivait pas à se défaire – Lena tentait de visualiser l’endroit dont Ozalee lui parlait sans y parvenir … merci les cinq petits mois à rester uniquement dans Manhattan. « Si on passe au surnom autant se tutoyer, j’aime bien la politesse mais j’ai l’impression d’être vieille d’un coup. » déclara-t-elle, une légère grimace déformant son visage pour ensuite reprendre son sérieux. « J’aimerais beaucoup visiter … à vrai dire vu que je suis ici que depuis quelques mois je dois avouer que je n’ai pas la moindre idée d’où se trouve Pelham Bay. ». Autant être franche et puis au moins elle allait pouvoir visiter un peu plus la ville de New York et voir par elle-même si une colocation dans l’appartement d’Ozalee n’était pas plus intéressante que chercher une colocataire pour ici.