La fin des cours est toujours un moment très attendu dans l'année, peut-être LE moment le plus attendu. Plus de devoirs et surtout plus d'examens. Rien que le calme et la tranquillité. Je sais plus quel grand philosophe a sorti un jour que rien faire est épuisant mais c'est réellement vrai. J'ai franchi le seuil de notre maison de Staten Island à Kat et moi, et me suis longuement étiré. La nuit a été longue. Les vacances ça signifient aussi en profiter et je ne prévoie pas de m'en priver. C'est histoire de rattraper tout ce temps perdu passé à suivre les cours de maintien quand j'étais petit. Bon okay, ça m'a appris beaucoup de choses, comme faire croire à la famille ce que je voulais mais quand vous avez dix ans, se faire attacher à un dossier de chaise par votre grand mère à l'aide d'un foulard Prada c'est assez traumatisant. Enfin maintenant, des années plus tard donc j'ai plutôt tendance à en rire qu'autre chose. Les protocoles, tout ça tout ça, n'ont plus lieu d'être à New-York, même s'il faut maintenant l'illusion quand notre père est dans les parages ou quand nous allons à Londres. En tout cas, Kat et moi sommes très doués à ce niveau. Si je n'avais pas lâcher l'information sur le fait qu'elle ait arrêté ses études pour la danse, je me demande s'il serait au courant. Je secoue légèrement la tête en repensant à ça. Ce moment me laisse un souvenir amer. Je ne suis pas vraiment le genre de personne à avoir des regrets ... enfin je ne dis pas que ça ne m'arrive jamais mais ... sur ce coup là, je suis un peu paumé en fait. Ou pas. Après tout j'avais raison, non ? Il l'a trompée, elle l'a largué. Fin de l'histoire. Tout ce que j'ai voulu. Alors, pourquoi je regretterai ? C'est une certaine vision de voir les choses ... Pas sûr que Kat la partage. Malgré tout ça, j'aurais voulu lui épargner la douleur de la trahison. Malgré le fait que je sois "content", comme elle dit, je déteste la voir comme ça .... Aussi triste. Elle fait tout ce qu'elle peut pour paraître forte mais je sais que ce n'est pas le cas. Enfin si, ma soeur est quelqu'un de fort, mais je sais que derrière ce qu'elle espère montrer ...

J'ai été prendre une douche histoire d'achever mon réveil même si je le suis déjà assez. J'ignore quand Kat va rentrer. On a toujours vécu chacun de notre côté ici de toute façon. La maison est assez grande pour s'éviter si on le souhaite. La différence est que ces derniers mois, on l'a vraiment souhaité. S'éviter à tout prix, ce qui ne nous est jamais arrivés. Tout ça pour un mec en plus. Mais aujourd'hui, ça ne m'inquiète plus. Elle peut bien être où elle veut, avec son groupe de danse et tout ça, tant qu'on s'est réconciliés ...C'est tout ce qui compte. En sortant de la douche, je me suis à nouveau étiré. Il fait beau aujourd'hui, et la terrasse m'appelle. Je me suis rhabillé rapidement avant de rejoindre le salon pour boire un verre d'eau. La douche a été surtout pour me faire complètement revenir sur terre en fait. Bref. J'ai fait coulissé la baie vitrée pour me rendre sur la terrasse en me disant que la solitude a du bon parfois. Piscine couverte. Je me suis installé tranquillement sur le transat avec l'envie de ne rien faire pendant tout le reste de l'après-midi. Juste profiter du calme, du soleil et de la sérénité. Yeux fermés. Je ne sais pas combien de temps je suis resté ainsi exactement, à dorer au soleil. Peut-être une quarantaine de minutes. Puis la baie vitrée s'est faite entendre. Pas besoin de se retourner pour savoir de qui il s'agit. « Ben ? » lance la voix de Kat hasardeuse. Je n'ouvre pas les yeux tout de suite, me contentant de lever le bras et de lâcher un : « Là. », ce qui est ridicule parce que je sais bien qu'elle m'a vue. Je la sens se rapprocher de moi et à ce moment, mes yeux s'ouvrent. « Je te dérange en pleine séance, peut-être ? » demande-t-elle. Un sourire étire soudainement mes lèvres. « Mmmm ... » ai-je acquiescé. « D'ailleurs tu me caches le soleil là. » ai-je fait pour plaisanter ... même si c'est vrai. De trop bonne humeur, je n'ai pas remarqué que ce n'est pas le cas pour elle, qu'il y a autre chose. Je suis tellement loin de me douter de la suite.

Kat et moi avons toujours vécu ensemble malgré les coups durs et autres moments difficiles. Je ne sais pas comment ça se passera dans cinq ou dix ans, si on vivra toujours ensemble. Ca peut sembler étrange pour le autres de nous imaginer vivre tous les deux encore dans dix ans ... mais c'est quelque chose que le commun des mortels peut difficilement comprendre. On est jumeaux et on n'a jamais été séparés depuis le ventre de notre mère. Et malgré les chamailleries que tous les frères et soeurs du monde peuvent avoir, il y a toujours ce lien, ce lien qui semble se renforcer au fil des années. Ce n'est pas quelque chose qui s'explique en fait, c'est quelque chose que seuls les concernés peuvent ... sentir d'une certaine façon. Raison pour laquelle les derniers mois ont été difficiles. Parce que tout a été remis en question. Enfin j'imagine que comme aucun de nous n'est parti de la maison tout n'a pas été remis en question mais en gros, moins on se croisait, mieux c'était, ce qui, en vingt ans de "colocation" n'était jamais, au grand jamais arrivé. Je n'ai jamais réellement accepté tout ça mais Kat n'a m'a pas donné le choix. On a tous les deux campés sur nos positions et malgré toute mon envie de la retrouver, je n'ai pas pu. Je lui ai fait mal, elle m'a fait mal à son tour en emmenant Chris en Égypte. Égalité. Ou pas. Parfois je me dis que j'aurais pu refuser de la consoler quand elle a rompu avec Chris, que j'aurais pu refuser de lui pardonner et la laisser se démerder toute seule. Après tout, elle m'a clairement laissé tomber pour préférer un parfait inconnu. Ç’a a fait mal, très mal même. Aujourd'hui, me souvenir de ces moments fait toujours mal. Mais je n'ai pas pu, je n'ai pas pu faire mon dur et résister quand je l'ai vu en train de pleurer assise sur le canapé du salon. Même me dire que j'aurais voulu me montrer dur sonne faux. Parce que c'est comme ça. On lui fait du mal, on me fait du mal aussi. C'est aussi simple que ça. Aussi simple que un et un font deux. « Oh, pardon ! Tu veux que je m'éloigne de quelques pas ? » demande-t-elle avec un sourire. J'ai haussé les épaules avec le même sourire en guise de réponse. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non.

Elle va s'asseoir sur le transat juste à côté du mien. « T'as des plans, aujourd'hui ? » a continué Kat. Honnêtement, je ne sais pas si c'est parce que je n'aie rien vu oui c'est parce que je ne voulais rien voir. En tous les cas, mes sourcils se sont légèrement froncés sur le coup. Je l'ai regardée quelques instants. J'ai comme l'étrange sensation qu'elle essaie de me faire la conversation et qu'elle tourne autour du pot. Mais là encore, je préfère chasser de mon esprit cette idée. Je joue les autruches. C'est parce qu'on vient tout juste de se retrouver Kat et moi, du coup mon cerveau fait un blocage à l'idée qu'il puisse encore se passer quelque chose de mauvais. Je ne veux tout simplement pas y croire. Comprenant en tous les cas, qu'elle a envie de parler, je me redresse et m'assoit sur mon transat pour lui faire face. « Pas grand chose en fait ... Je suis juste allé voir des potes tout à l'heure après une soirée. Je viens juste de rentrer ... pourquoi ? » Elle a peut-être prévu qu'on fasse un truc tous les deux, enfin je lui ai demandé pourquoi pour en avoir le coeur net du coup. Faut dire que ces derniers temps, comme je l'ai dit, les choses qu'on a pu faire ensemble se comptent sur les doigts d'une main et moins. J'aurais dû lui demander si elle en a aussi pour la journée mais j'ai oublié du coup. Sûrement la danse. Bref, faut que je lui dise qu'il faut qu'on passe voir Danjel aussi. Soudain, ma jumelle prend un air très sérieux et se mord la lèvre inférieure, ce qui n'est jamais très bon signe en fait. « Ben, je dois te parler d'un truc... mais tu dois me promettre de pas m'en vouloir. » Mon visage est resté impassible mais pour mon état intérieur, ça reste plus compliqué à décrire. Il se passe encore quelque chose. L'impression que j'ai eu sur le fait qu'elle tournait autour du pot était vraie. Je l'ai regardée, fixement . Ne pas lui en vouloir ? C'est forcément mauvais. Merde, qu'est ce qu'il se passe encore ? Naaan, elle peut pas être retournée avec l'autre quand même ? Et puis mes yeux sont tombés sur ce qu'elle a entre les mains. « Qu'est-ce que c'est ? » ai-je demandé inquiet. Le calme a toujours été mon point fort et je tente de ne pas imaginer de quoi elle veut me parler. Calme. Je me rends compte que je n'ai rien promis du tout et qu'en fait, je n'ai pas la moindre envie de lui promettre quoique ce soit. Après tout ce qui vient de se passer ... qu'est ce qui peut arriver de pire exactement que nous deux en Guerre Froide exactement ? Je ne sais pas, mais vu sa tête, vu son attitude, vu sa question, je ne peux craindre que le pire. Mais j'ai beau essayé, j'ai beau essayé de lui dire oui, je te promets, ce n'est pas exactement comme ça que c'est sorti. « Dis toujours. »

Ma bonne humeur a disparu progressivement, à mon grand regret. Et encore, j'aurais pu le voir dès la première seconde mais j'ai réussi à repousser l'échéance le plus loin possible. Passer de la bonne humeur à une autre mauvaise nouvelle. Je l'ai observée, quelque chose ne vas définitivement pas. Elle n'a pas répondu à ma question, difficile de ne pas le remarquer et donc, ça achève complètement de m'inquiéter. Elle a la tête d'une personne qui veut dire quelque chose mais qui ne sait pas comment le dire, donc forcément c'est mauvais. CQFD comme on dit. Du coup j'ai préféré m'asseoir, ça fait mieux pour une discussion sérieuse. Mon visage reste neutre, je dois être devenu un professionnel à ce niveau. Seulement, après ce qui est arrivé, je ne vois vraiment pas ce qu'elle va pouvoir me dire de tellement ... mauvais si je puis dire. Mais ce qu'elle vient de dire sur le fait de lui promettre de ne pas lui en vouloir ne présage rien de bon. Sans le vouloir, je me suis crispé légèrement. Là tout de suite, je ne sais pas vraiment comment agir alors je me contente d'attendre restant tranquille. Non, surtout ne pas imaginer n'importe quoi, non ne pas imaginer qu'elle est retournée avec l'autre. Parce qu'elle ne peut pas, pas vrai ? Il l'a trompée après tout, elle ne peut pas revenir vers lui si ... Okay Ben, ferme là. J'ai confiance en Kat, elle ne ferait pas une connerie pareil. Mais alors qu'est ce qu'il se passe ? Je déteste vraiment être dans ce genre de situation, la situation de celui qui ne sait rien et qui doit attendre qu'on lui dise, surtout quand ça concerne ma jumelle. Mes yeux ont mis un certain temps à remarquer les papiers qu'elle tient entre ses mains et quand je lui demande leur nature, elle se crispe encore plus. Okay ... C'est du sérieux. J'essaie de me préparer mentalement à tout ce qu'elle va pouvoir me dire. J'aurais voulu réussir à lui promettre de ne pas lui en vouloir mais je n'ai pas pu. Je l'ai vraiment voulu, après tout on a toujours pu tout se dire elle et moi, les bonnes choses comme les mauvaises, et ça n'a jamais rien vraiment changé entre nous. Seulement là, je n'en ai pas été capable, j'ai juste lâché le "dis toujours" ... pas très rassurant, mais les mauvaises nouvelles, j'en peux plus. Kat grimace en remarquant que je n'ai rien promis du tout. Un instant, j'ai songé à me rattraper, à lui dire "oui, je te promets, tu peux tout me dire", mais je sais pas ... Sa tête, son allure me disent tout de suite que je ne vais pas aimer, et j'ai peur que, vu que nous nous sommes réconciliés y a pas longtemps ...

Elle prend une profonde inspiration et moi j'attends, le coeur battant un peu plus vite qu'à la normale. Ma soeur me regarde droit dans les yeux en tendant légèrement les papiers en question. « C'est une confirmation de vol... Pour Windhoek, en Namibie. » a-t-elle soudain lâché. Mes sourcils se sont immédiatement froncés. Hein ? La Namibie ? Elle enchaîne rapidement, m'empêchant de comprendre ... « Je pars dans dix jours, avec Médecins Sans Frontières. » Euh ... d'accord. Mes yeux s'agrandissent, difficile de garder mon masque de neutralité intact. Comment ça Médecins Sans Frontières ? Comment ça elle part en Namibie pour Médecins Sans Frontières ? J'essaie de tout remettre dans l'ordre. Si je m'y étais attendu à celle là ... Okay mec, garde ton calme, ça ne peut pas être vrai, pas maintenant. « Écoute, je sais que ça sort de nulle part, et que j'aurais dû t'en parler avant, mais j'avais peur que tu m'en dissuades et j'ai vraiment envie de partir là-bas. Ca fait déjà quelques semaines que j'y pense, depuis une conférence, et j'ai pu parler avec un ancien médecin, et je me suis renseignée à leur centre, et ils peuvent vraiment avoir besoin de moi là-bas, alors peut-être qu'au début je voulais surtout partir pour moi, et je sais que tu vas me dire que j'aurais dû prendre un hôtel à Cancun si j'ai besoin de vacances, mais... ça me tient à coeur alors... » a-t-elle expliqué. La vérité c'est que je suis tellement sous le choc que rien ne sort de ma bouche. MSF en Afrique ? Putain elle est vraiment sérieuse ? Je passe une main dans mes cheveux, plutôt perturbé. J'ai à peine écouté ses explications en fait, pas du tout remis de la nouvelle. « M'en veux pas, s'il te plaît. » murmure-t-elle. En fait pour l'instant, j'en suis pas encore à ce stade. Le regard dans le vide, mon esprit un peu en vrac. Elle va partir pour l'Afrique, et pas pour des vacances en plus. MSF c'est pas la fête tous les jours, ça peut même être dangereux. « T'es pas sérieuse ... » ai-je murmuré avec difficulté en retrouvant l'usage de la parole. J'ai dit ça en sachant très bien à quel point elle l'est, malheureusement. Pas maintenant, pas maintenant ... Le choc me paralyse. On vient juste de se retrouver Kat et moi et maintenant, elle part à l'autre bout du monde ... C'est une blague ? « Tu ... reviendrais quand ? » ai-je demandé totalement abattu et sonné. Impossible de poser la question au présent, ce n'est pas possible. Tout ça pour l'autre connard là ... Mais une autre question me taraude l'esprit. « Je veux dire ... tu seras rentrée le 17 aout, hein ? » ai-je continué d'une petite voix. C'est le jour de notre anniversaire. Elle et moi avons toujours passé nos anniversaires tous les deux. TOUJOURS. Et là imaginer qu'elle ne sera pas là, même si au fond de moi, je sais que se sera bien le cas, c'est ...

Alors ça ... Je suis resté bloqué sur place, totalement soufflé par la nouvelle. Je n'arrive pas à y croire en fait, je pense qu'elle le voit assez. Elle va partir. Très loin, sur un autre continent. Même pas en Égypte. Elle m'aurait dit, je pars là-bas, à la maison, pour prendre un peu de recul sur tout ce qui vient de se passer, j'aurais compris. Elle serait revenue dans deux ou trois semaines ou je serai parti avec elle. Mais là c'est différent. Namibie. MSF. En fait, je suis tellement surpris et abattu par la nouvelle que je suis incapable de m'énerver. Ma tête fonctionne au ralenti, voire même, elle ne fonctionne plus du tout. Assis dans le transat, j'ai dévisagé ma sœur sans le vouloir. Moment de flottement. Elle ne répond rien et baisse les yeux. Putain, j'aimerais tellement qu'elle me dise que c'est une blague mais malheureusement, rien de tel ne sort de sa bouche. A la place, on garde le silence tous les deux, moi incapable de prononcer un seul mot et elle ... bah je sais pas en fait. Je ne sais pas si elle est incapable de parler ou si c'est juste parce qu'il n'y a rien à ajouter. Faudra que je pense à lui poser la question quand j'aurais retrouvé mes esprits tiens ... Parce que là, je ne sais vraiment plus quoi penser. Je me suis affaissé totalement contre le transat, la bouche toujours ouverte mais je me force à revenir sur terre. Elle s'est engagée pour MSF ... J'arrive pas à croire qu'elle ne m'en ait pas parlé ! Bon en même temps si elle l'avait fait, j'aurais cherché à la dissuader, mais merde quoi ! « J'ai signé un contrat reconductible... de deux mois minimum. Alors si je rentre, ce sera pas avant... septembre. » a-t-elle soufflé toujours en se mordillant les lèvres. Je me suis mordu fort l'intérieur de la joue pour me retenir de ... je sais pas trop en fait. C'est juste qu'avoir la confirmation pour le dix-sept m'a littéralement achevé. C'est sans doute ce point là qui est le pire. Imaginer qu'elle ne soit pas là le dix-sept ... D'ailleurs là tout de suite, même en cherchant, je ne peux même pas imaginer et pourtant, ça va arriver. « Mais ... on a toujours passé nos anniversaires ensemble ... et puis c'est notre vingt-et-unième ! » ai-je fait toujours sans hausser la voix. Il y a des limites à tout, même quand on parle de mon sang-froid. Je sais que dire ça peut avoir l'air gamin mais je m'en fous, c'est la vérité. Mon anniversaire peut être un bon moment que si elle est là. D'ailleurs il n'y a pas de "mon anniversaire", c'est juste "notre anniversaire", tout simplement. Ca devait être le plus beau, le plus fou, pour fêter nos vingt-et-un ans, donc ... je vais avoir beaucoup de mal à m'en remettre, malgré ce que je vais prétendre.

Je sais qu'elle est en train de vivre une situation pas facile mais merde, putain ! De là à aller en Namibie aider les plus démunis ... Bon okay, je vais avoir l'air d'un parfait connard égoïste si j'essaie de la dissuader mais je m'en fous. Je ne peux pas la laisser partir sans avoir essayer de faire quelque chose. Le temps c'est comme suspendu depuis qu'elle a annoncé la nouvelle. Le vent s'est levé un peu. La réalité nous rattrape et je commence à réaliser pleinement ce que va impliquer cette envie soudaine d'aider les autres. Une maison totalement vide pendant deux mois. Une maison totalement vide. Il ne sera même plus question de s'éviter. Kat ne sera pas chez Chris ou chez quelqu'un d'autre à New-York, non, elle sera à des milliers des kilomètres avec, entre nous, un océan tout entier pour nous séparer. Pendant deux mois. Putain, deux mois c'est long ! « Je voudrais qu'on puisse se voir pour le 17 mais... je suis pas sûre qu'on puisse vraiment déserter comme ça, sinon je serais allée à la capitale. » a-t-elle continué sur le même ton. Okay, on reste calme de toute façon, mais je n'ai pas pu me retenir de lever les yeux au ciel. Ça me sidère en fait, toute cette situation me sidère. J'ai l'impression que depuis Chris, elle commence à s'éloigner de moi. « Mais t'y as pensé ou pas quand tu leur as dit quand tu voulais aller là-bas ? Ou alors ça t'est simplement sorti de la tête, comme le fait de me parler de tout ça d'ailleurs ... faut dire que c'est pas vraiment important ... » ai-je ironisé. « Ou alors c'est moi qui ne suis plus vraiment important. » Je sais, j'aurais pu éviter la dernière phrase, j'aurais dû même mais c'est de toute façon trop tard maintenant. Je l'ai fixé sans ciller. Kat et moi nous sommes toujours tout dit et même si la dernière phrase est vache, c'est exactement ce que je ressens actuellement. Comme si elle me laissait consciemment tomber à un moment pareil. La colère me donne des fourmis dans les doigts. « Et puis c'est pas seulement notre anniversaire ... Enfin après les mois pas faciles qu'on vient de passer, je pensais ... je pensais qu'on allait pouvoir rattraper le temps perdu ... » ai-je fait en haussant les épaules, mâchoire crispée et en baissant quelques secondes les yeux vers la piscine. J'ai conscience de ce que je suis en train de faire. S'engager pour MSF est quelque chose de très courageux, pour ça je suis d'accord, c'est juste que ... pas elle quoi. Du coup je dois paraître vraiment égoïste à essayer de priver ces gens de Kat, mais je peux pas faire autrement. Deux mois me paraissent tellement long soudainement. « Pas maintenant Rory, juste pas maintenant ... » ai-je fait d'un ton suppliant. J'arrive pas à croire que tout ça soit à cause d'un mec. Si je le croise celui-là ... « Je sais que tu vis une situation pas facile en ce moment, mais y d'autres moyens d'oublier ... » En fait, j'ai peur qu'elle s'éloigne encore plus si je m'énerve. Parce que là tout de suite, j'en ai légèrement envie.

Une partie de moi voudrait que cette discussion s’arrête là. Je n’ai pas envie de me prendre encore la tête avec Kat, surtout sur un tel sujet. Je l’ai regardée, elle est visiblement gênée. L’autre partie de moi est satisfaite de la voir en proie au doute, de la voir souffrir un peu comme je peux souffre moi. Pourtant, j’ai conscience de l’apparente futilité de mes arguments. Quand j’y repense, une personne lambda les penserait égoïstes. C’est vrai, Kat me dit qu’elle va aller sauver des vies et moi j’essaie de la retenir en disant qu’on se devait de faire la fiesta du siècle pour notre anniversaire ? Ca fait carrément gosse de riche qui n’a aucun cœur. Je baisse la tête en ayant l’impression que je suis en train de m’y prendre très mal. Mais je sais que Kat sait de quoi je parle. Évidemment, ça va beaucoup plus loin que de faire la fête du siècle. C’est la symbolique. Le fait que ma jumelle et moi n’avons jamais passé un anniversaire séparés, JAMAIS. Alors c’est peut-être con de de réagir de cette façon … J’ai l’impression que ça me fout la trouille en fait. Comme si c'était un signe, le signe qui montre qu'on commence à s'éloigner tous les deux et ça, c'est dur à digérer. A croire que ça va dans la continuité de notre mauvaise période. J'ai pensé qu'elle était passé mais peut-être que non finalement. Ou alors, je suis en train de tout mélanger. C'est ça, je mélange tout. Parfois, certaines personnes arrivent à me dire qu'un jour, Kat et moi allons devoir vivre notre propre vie, indépendamment de l'autre. Sans exagérer, ça m'a toujours paru impossible, inimaginable, impensable. Mais faut croire que peut-être, ils avaient raison et que peut-être ... peut-être ça commence maintenant. Peut-être qu'on commence l'un et l'autre notre vie d'adulte, chacun de notre côté. Y penser m'a donné l'effet de recevoir un sceau d'eau froide. C'est con je sais, mais ... ça fait mal de la voir s'éloigner, même si c'est juste pour deux mois et dans ma tête, parce qu'elle ne s'éloigne pas vraiment à proprement parler. Elle va revenir mais … C’est tout ce que ça représente en fait. La fin d’une époque rien qu’à nous. Ma gorge se noue en y pensant et je ne sais pas comment lui expliquer tout ça sans paraître égoïste avec son choix. « Ben, dis pas ça, tu sais très bien que je t'aime... » répond-t-elle sans hésiter. J’ai regretté et à la fois pas regretté d’avoir sorti cette phrase. Parce que c’était vache, vraiment vache même mais dans un autre sens, ce sont les grandes lignes de ce que je peux ressentir à cet instant. Pauvre Benny, aurait dit Amélia d’une voix méprisante. Seulement je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il n’y encore pas longtemps, Kat m’aurait parlé de son projet d’MSF … Bon d’accord, j’aurais probablement essayé de la dissuader. Du coup en entendant sa réponse, je n’ai rien dit, je n’ai pas réagi. J’aurais aimé le faire mais tout est resté coincé dans ma gorge. Elle va croire que je ne la crois pas, mais si je la crois. Comment faire autrement … c’est juste que tout ça …

J’imagine que tout change avec les années de toute façon. Seulement je ne sais pas ce que c’est de vivre sans Kat, c’est un fait, c’est tout. Même dans notre pire moment, on habitait toujours sous le même toit. Mais là, elle a volontairement décidé de partir très loin sans moi, alors qu’on est censés s’être réconciliés, alors qu’on est censés rattraper le temps perdu … En fait j’ai l’impression de voir déjà les conséquences des mois précédents. Aveugle, j’ai pensé qu’il n’y en aurait aucune mais je crois que je me suis trompé. Et maintenant, il va falloir accepter tout ça, parce qu’il n’y a pas le choix. Mon père me dirait que je dois me faire une raison. Intérieurement c’est ce que j’ai fini par faire seulement, je me dois d’essayer, au moins essayer … « C'est fait, Ben... Je m'en vais, il n'y a pas à discuter sur ça... » a-t-elle fait d’une petite voix. Bam, le glas est tombé. Je savais bien … Enfin priver des gens dans le besoin de Kat juste pour la garder avec moi peut paraître incroyablement égoïste. J’ai l’impression d’être seul au monde à cet instant précis et qu’un fossé, pas encore trop énorme est en train de se creuser entre nous. « « Il est plus question de Chris, là. C'est une aventure qui m'attend, une expérience exceptionnelle que je m'apprête à vivre, je le veux vraiment, pour moi. J'aurais dû t'en parler avant, mais tu prouves assez bien que tu aurais aussi mal réagi... Et ma décision est prise. » Mais c’est peut-être moi. Peut-être que je prends tout ça trop à cœur, peut-être que je devrais voir ça comme une bonne occasion de tester la vie sans elle. C’est ce qu’une petite voix dans ma tête me souffle en tout cas, mais je n’arrive pas à l’écouter. « Désolée... » finit par dire ma sœur en baissant les yeux. Plus rien ne veut sortir de ma bouche, je n’arrive plus à trouver les mots et ça ne m’arrive pas souvent avec elle. Du coup je détourne les yeux, regarde le paysage avec le menton posé sur mon poing. Qu’est-ce que je peux dire d’autre après ça hein ? Il y a plus grand-chose à dire. Ben tu t’écrases. T’as pas le droit de la retenir pour un truc aussi noble que MSF. Ben joue pas les frères abandonnés. Ben fais pas chier. Ben tiens-toi tranquille. L’impuissance me paralyse. J’ai l’impression que tout part n’importe comment, que tout s’échappe, et je ne peux rien faire contre. Le silence se poursuit. Silence durant lequel j’essaie de tout digérer. Je repense à ce qu’elle m’a dit sur le fait que je lui donne sûrement raison de ne pas m’avoir parlé d’MSF. Ca fait toujours mal quand même. J’ai ouvert la bouche, plusieurs fois pour la refermer ensuite. Vas-y Ben, continue, enfonce-toi. Non t’es pas assez profond là. « Je ... » ai-je commencé en cherchant ce que je vais dire. Okay, on se calme. Et c’est à cet instant que tous mes vieux cours de maintien et tout ça sont revenus. Du coup j’ai fait un effort pour que mon visage reprenne un peu « d’allure ». Oui en fait, j’ai tout refermé. La souffrance, le côté suppliant … Je ne veux pas me prendre la tête encore avec Kat. J’aimerais qu’on se « quitte » en bon terme, le contraire serait pire. La colère me démange encore les doigts. La frustration est toujours là, mais je retiens tout et essaie de donner le change. « Quand tu rentreras t’auras sûrement un membre de ta famille en moins … » ai-je fait d’un ton énigmatique. Visage neutre. Je crois que je l’ai fait exprès. Dire une telle phrase qui veut à la fois tout dire et rien dire. Le meilleur comme le pire. Peut-être que quand tu seras rentrée Kat, je serai parti, très loin sans te prévenir et tu me reverras plus … La blague. « Parce qu'entre temps, on aura peut-être retrouvé le corps d'Amélia dans un fossé ... ou le mien tiens. Ça va dépendre lequel d'entre nous va craquer en premier ...» ai-je fait avec un léger sourire. Non cette phrase n'a pas pour but de faire culpabiliser Kat, pas de la façon dont je l'ai dit ... enfin si c'est le cas je ne le fais pas consciemment en tout cas. Juste pour retrouver un peu de légereté dans cette discussion qui commence à avoir des allures d'au revoir. Et parce que c'est la vérité. La perspective de devoir gérer cette folle d'Amélia tout seul me remplit de joie, youhou !